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26 janvier 2010 2 26 /01 /janvier /2010 10:00

Cette fois, ça y est ! On a la preuve qu’une exposition croisée des abeilles à un pathogène et à un pesticide (le Gaucho), même à très faible dose, peut entraîner des morts rapides et massives. C’est ce que nous avions annoncé dans notre livre L’étrange silence des abeilles dès septembre, grâce à un entretien que j’avais eu avec Luc Belzunces de l’INRA d’Avignon. Mais à présent l’étude dont il est l’un des coordinateurs vient d’être publiée dans une revue scientifique académique[1]. Un joli succès pour les équipes de l’INRA d’Avignon![2]  Un succès qui se double de la publication la semaine dernière, par  ce même institut, d’une autre publication innovante sur l’impact des qualités de pollen pour les abeilles.


    L’impact des interactions de facteurs prouvé

Abeille Morte.jpg« C’est la première fois qu’est prouvé ce fameux effet de combinaison des facteurs entre pesticide et pathogène dont on parle tous depuis quelques années ! » se félicite Yves Le Conte qui a dirigé cet essai avec Luc Belzunces. Prudent, l’apidologue d’Avignon que je viens longuement d’interviewer s’empresse d’ajouter qu’il n’explique pas toutes les mortalités ni les effets d’effondrement brutaux des colonies, comme on l’a observé aux États-Unis, par ce seul type de synergie. « Il peut en exister bien d’autres. Et il faudrait pouvoir tester à présent nos facteurs sur des ruches entières [15 000 à 70 000 individus en interaction selon la saison] et non plus, comme ici en laboratoire sur des cagettes d’une centaine d’abeilles. »

Le premier constat des chercheurs est que l’exposition d’abeilles naissantes à différentes doses d’imidaclopride (la substance active du pesticide Gaucho)[3] dans un sirop de sucre ou à 200 000 spores du champignon parasite Nosema ceranae entraînent peu ou pas d’effet sur l’insecte. Encore que les groupes d’abeilles infectées par le micro-champignon consomment nettement plus de sirops sucré que les autres, conformément aux observations faites par l’Américain Dhruba Naug de l’Université du Colorado, et que nous rapportions dans notre livre : une anormale “sensation de faim” chez ces abeilles parasitées[4] ... Or, si dans la ruche, ou ici en expérimentation, la source de nourriture est contaminée par un pesticide, l’exposition toxique des abeilles parasitées devrait s’accroître. En outre, chez ces mêmes abeilles infectées par N. ceranae – et sans exposition à l’imidaclopride - les chercheurs d’Avignon ont tout de même enregistré quelque 30 % de mortalité au bout du 10e jour d’expérience. Pas nul ! Rien de tel pour les groupes d’abeilles exposées au seul Gaucho: avec une concentration de 0,7 ppb de sa matière active, cette mortalité est inférieure à 10 % ; elle est juste supérieure à 15 % pour les deux concentrations plus élevées.

Deuxième constat : en mêlant les stress, les choses se gâtent nettement ! « Lorsqu’on les expose aux deux stress en même temps, on enregistre de fortes mortalités au bout de dix jours. », indique l’apidologue de l’INRA. Chez les groupes doublement exposés, celle-ci dépasse en effet les 40 % à 70 % au bout du 10e jour, selon les concentrations d’imidaclopride dans les sirops. « Cet effet conjugué n’est pas seulement additionnel mais bien synergétique : il est supérieur à la somme des mortalités des deux facteurs pris isolément. »

Butineuse d'une crucifère sauvage.jpg                                                                                                                     © Aiguebrun Adjaya

Des pistes mais pas encore d’explication

Pour l’instant, les scientifiques n’expliquent pas vraiment ce mécanisme, même si tout le monde peut avoir l’intuition que la conjugaison de chacun de ces stress affaiblit d’autant plus l’abeille. « On observe, en tout cas, une baisse de l’immunité sur certains marqueurs que l’on suivait, précise Yves Le Conte : c’est très net sur le marqueur d’« immunité sociale » qu'est la gluco-oxydase. Il s’agit d’une enzyme qui dégrade le sucre en produisant de l’eau oxygénée, ce qui a un pouvoir anti-bactérien. Or l’abeille ne le sécrète pas pour elle-même mais bien pour la colonie. Produite dans ses glandes hypopharyngiennes, cette gluco-oxydase est mêlée à la gelée royale. Les nourrices la régurgitent notamment au sein des cellules du couvain. »

Un formidable procédé de stérilisation alimentaire ! D’où le fait que cette baisse de sécrétion de la gluco-oxydase, ainsi que de la taille des glandes où elle est produite, peuvent avoir un effet en chaîne à la fois sur les abeilles restant à l’intérieur du nid et sur les larves, donc les prochaines générations de la colonie. C’est donc bien la cohésion et l’avenir du groupe que ce cocktail d’agresseurs menace. Une vraie bombe à retardement en somme pour la colonie !

Cette combinaison des deux stress ne semblent pas perturber, en revanche, les marqueurs de l’immunité individuelle – ceux qui protègent directement l’organisme contre les pathogènes. Du moins, pas ceux retenus par cette expérience. D’autres marqueurs enzymatiques et peptides anti-bactériens pourraient-ils tout de même être affectés par ces deux agresseurs ? L'étude n'y répond pas.


    Passer de l’étude d’impact du gène à la colonie entière

    Abeille Morte.jpgProchaine étape, début mars et durant trois ans, l’équipe va amplifier ses investigations sur les interactions entre facteurs. Non seulement en précisant ce qui se passe chez les reines et les mâles dont on a mis en cause des pertes de fertilité ou de durée de vie. Mais aussi en étudiant ces mécanismes à l’échelle de la colonie tout entière.

Parallèlement, l’équipe d’Avignon va analyser l’impact croisé de plusieurs parasites, virus et pesticide (une autre molécule que le Gaucho, mais toujours de la famille chimique des néonicotinoïdes mise en cause) à l’échelle du génome des abeilles. L’objectif : préciser quels gènes ou ensemble de gènes sont affectés par ces stress en combinaison, c’est-à-dire sous-exprimés ou sur-exprimés.

    Ces deux nouveaux volets s’effectueront dans le cadre du programme européen BeeDOC, destiné justement à tester différentes hypothèses d’interactions des facteurs à risque pour l’abeille (parasites, virus et pesticides) dans cinq pays. Et chacun espère sortir de ces essais lourds et complexes avec un scénario testé et reproductible de combinaisons fatales pour les abeilles. Ceux-là même qui provoquent régulièrement les fameux syndromes d’effondrement des colonies (CCD) observés de part et d’autre de l’Atlantique. « On saura alors vraiment qui fait quoi, et de quelle manière. Ce qui est indispensable pour trouver des parades efficaces. » espère Le Conte.

Abeilles Halictus sp. dans nid au sol.jpeg                                                                                                               Abeilles Halictus dans leur nid © Picasa album

Un mécanisme pour la lutte intégrée... à double tranchant !

« Le plus surprenant pour nous dans cette première étude, ajoute-t-il, c’est qu’en faisant une recherche dans la littérature, Cédric Alaux, le principal instigateur de ces essais, s’est rendu compte que l’effet de synergie que nous décrivons était en fait déjà connu de l’industrie phytosanitaire. Et il a été utilisé dans des vergers contre des insectes ravageurs en les exposant à la fois à des pesticides et à des micro-champignons pathogènes. »

C’est même l’une des voies de lutte intégrée que l’on pourrait demain vouloir développer afin de réduire les quantités de pesticides répandus... Sauf que la cible n’est pas toujours atteinte ! Et surtout que ce mécanisme de synergie affecte aussi des organismes alliés des cultures, les fameux « insectes auxiliaires » si précieux pour les plantes cultivées. Ce qui n’était prévu ! Et c’est bien tout le problème de ces innombrables cocktails chimiques, lesquels se forment sans contrôle et de façon aléatoire la plupart du temps. Une chose est sûre, avant d’utiliser ses puissants processus de synergie biochimique, les firmes agrochimiques mais aussi les agronomes et les politiques soucieux de vouloir réduire les quantités de pesticides diffusés dans l’environnement, devront y regarder de plus près !


Des procédures d’évaluation à revoir

L’une des conclusions que l’on pourra tirer de cette étude est bien qu’il y a urgence à modifier les tests d’évaluation des molécules phytosanitaires avant leur mise sur le marché. Non seulement en allongeant la durée des tests et en exposant d’autres classes d’abeilles que les seules adultes – des tests sur des larves et de jeunes abeilles ont montré leur vulnérabilité spécifique. Mais aussi en assurant une excellente traçabilité des traitements à l’échelle des parcelles dans le territoire agricole et en multipliant les suivis d’insectes témoins après les traitements, afin de nourrir d’autres études en laboratoire d’exposition combinée entre facteurs chimiques et pathogènes.

C’est donc bien une évaluation et une surveillance plus intégrées aux systèmes écologiques agricoles qu’il s’agit à présent de mettre en œuvre. En s’affranchissant des certitudes toxicologiques en partie dépassées... Et c'est à une révision des approches et des protocoles d’écotoxicologie qu’il convient de procéder. Du moins si l’on veut préserver non seulement les abeilles, mais toute la biodiversité des insectes dans nos pays industriels.



[1] Alaux C. et al. (2009) Interactions between Nosema microspores and a neonicotinoid weaken honeybees (Apis mellifera), Environmental Microbiology.
Cliquez sur l'icône pour télécharger cette étude.

[2] L’Institut national de la recherche agronomique semble (enfin) avoir pris la mesure de l’importance de constituer un pôle d’excellence sur les abeilles en France. Il se concentrera à Avignon, grâce aux interaction scientifiques de trois équipes (coordonnées par Bernard Vaissière, Yves Le Conte et Luc Belzunces) et la création d’une toute nouvelle Unité mixte technologique (UMT) sur les mortalités d’abeille, dans le même centre, entre l’INRA, l’ACTA (Axel Decourtye) et l’ADAPI (Julien Vallon, de l’association du développement apicole de Provence).

[3] Trois concentrations ont été testées : 0,7 ppb (microgramme/ kg), 7 et 70 ppb, alors que l’on retrouve facilement 2 à 4 ppb d’imidaclopride dans les nectars des plantes traitées.

[4] Mayack C. et Naug D. (2009), “Energetic stress in the honeybee Apis mellifera from Nosema ceranae infection”, J. Invertebr. Pathol.
Cliquez sur l'icône pour télécharger cette étude.

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commentaires

V
<br /> Je suis très sensible à tout ce qui touche les abeilles car je suis petite-fille et fille d'apiculteur ... les abeilles c'est toute mon enfance, des odeurs, des saveurs ....<br /> <br /> <br />
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V
<br /> Je comprend tout à fait. J'ai moi-même des souvenirs savoureux de ruches et miel de lavande qui me viennent de l'enfance et de la Drôme paternelle... Je suis content si ce blog réactive, chez vous,<br /> cette mémoire heureuse.<br /> <br /> <br />

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