Coup double pour l’INRA d’Avignon ! Et pour Cédric Alaux en particulier, un tout jeune chercheur décidément brillant, en post-doctorat dans ce centre, qui est le principal auteur de ces deux études. En effet, en plus des preuves apportées sur l’impact d’une combinaison délétère de deux agresseurs chez l’abeille, l’équipe d’Avignon vient de démontrer dans une étude publiée ce 20 janvier l’importance des qualités de pollen sur la santé des hyménoptères[1]. « Nous nous sommes rendus compte, au cours de nombreux tests avec six préparations de pollen, qu’il vaut mieux donner aux abeilles des pollens polyfloraux (issus de différentes espèces végétales) que monofloraux (d’une seule espèce). Et cela même lorsque le pollen monofloral est plus riche en protéines. », résume Yves Le Conte de l’INRA d’Avignon. Ce qui revient à dire que la clé d’une bonne santé pour l’insecte n’est pas la quantité de pollen (et de protéines associées), mais bien sa diversité !
Évident ? Peut-être. Encore fallait-il le démontrer. Et cette étude étaye deux affirmations pas toujours bien établies, du moins pour l’abeille. D’une part que l’impact des monocultures florales réduit la qualité du bol alimentaire de nos chères butineuses. D’autre part qu’il faut toujours privilégier une source diversifiée de micronutriments. Car au-delà des protéines essentielles pour la résistance des abeilles aux maladies, les pollens offrent aussi quantité d’acides aminés (protides), d’amidon (glucides), de lipides (en particulier des stérols), de vitamines (A, D, E et K, l’acide folique et la biotine) et d’éléments minéraux.
Un bourdon sur les premières fleurs de romarin dans la garrigue héraultaise © V. Tardieu
« Consommez donc cinq fleurs différentes par jour !» Voilà le nouveau précepte alimentaire qu’il va falloir placarder sur chaque ruche de France. Car les chercheurs d’Avignon se sont aperçus qu’une diversité florale favorise nettement la sécrétion du principal marqueur d’immunité sociale (la gluco-oxydase, essentielle pour aseptiser les nourritures stockées dans la ruche).
Pour les autres marqueurs immunitaires, cette fois individuels, telle la concentration des hémocytes (phagocytant et encapsulant les parasites qui envahissent le corps de l’abeille), des corps gras ou l’activité phenoloxidase, l’impact est moins net. « On observe néanmoins un léger effet au niveau des corps gras, qui sont des tissus situés dans l'abdomen des abeilles », me précise Cédric Alaux. Leur rôle ? « C’est dans ces tissus que sont généralement produits les peptides antimicrobiens, l'hormone vitelleogénine (jouant un rôle clé dans la longévité) et où sont stockés les réserves énergétique et protéininiques. Et il semble que la diversité en protéines alimentaires, par les pollens, favorise un meilleur développement de ces tissus. Une expérience réalisée sur l'alimentation des larves de bourdons a montré des résultats similaires[2]. Les larves nourries avec plusieurs pollens étaient en effet plus grosses que celles ayant été nourries avec un seul pollen »
Ainsi, en composant un bouquet pollinique plus ou moins riche en protéines et autres micronutriments, l’abeille parvient à satisfaire l’essentiel de ses besoins biologiques et immunitaires. Tout comme nous avec une alimentation diversifiée, c’est-à-dire équilibrée ! À noter, au passage, que la quantité de pollen consommée par abeille et par jour, durant ces dix jours d’expérience, fut à peu près équivalente.
Fleurir les bords de route
Est-ce que la constitution de friches apicoles, dans les zones de grandes cultures, à dominante monoflorale, constitue la solution d’avenir pour obtenir une diète équilibrée ? LA solution ? Sans doute pas. L’une d’elle, certainement. C'est surtout l’enrichissement du paysage agricole partout en France d’éléments semi-naturels (haies, bosquets, friches de bordure..), riches en diversité floristique, qui demeure la clé de cette alimentation diversifiée.
Dernier effet en tout cas du Grenelle de l’Environnement, l’annonce faite la semaine dernière par les ministères de l’Écologie et des Transports de semer des graines de plantes mellifères dès le printemps prochain le long des routes de France. « Les bords de route, chemins, talus et fossés, représentent plus de 500.000 hectares en France (soit 47 villes comme Paris). » rappelle le Réseau Biodiversité pour les abeilles, à l’origine de cette mesure et qui milite depuis quatre ans pour la multiplication des friches mellifères partout dans le paysage.
Les ministères s’engagent pour le moment sur une zone test de 250 km de routes nationales dans les régions du nord, du nord-ouest, du sud-ouest, du massif central et de l’Atlantique. Puis, si au bout de trois ans le bilan est jugé positif par le Réseau Biodiversité pour les abeilles, l’expérience sera étendue le long de 12 000 km d’axes routiers. Un fauchage tardif dans la saison sera également expérimenté aux bords de ces routes afin de laisser se développer une pleine floraison. « Je me demande bien si ça sera efficace ça, s’interroge, dubitatif, Yves Le Conte : si c’est pour que les abeilles finissent écrasées sur le pare-brise des voitures en cherchant à rejoindre l’autre bord... »
Floraison massive de grande marguerite, fin mai, au bord d'une autoroute © UCL
Cohérence... pour tous !
Plus critique, l’Union Nationale de l’Apiculture Française pointe l’incohérence des politiques actuelles : « ré-autoriser le Cruiser[3] au cours de l’Année Internationale de la Biodiversité et dans le même temps engager une action de communication sur “ le fleurissement des accotements routiers” s’avèrent contradictoires » souligne Henri Clément. Peut-être. De même, l'on peut légitimement s'interroger sur le fait de savoir si les bords de route, plutôt pollués, constituent vraiment la priorité des espaces anthropisés à remettre en "fleurs"... Cela ne me saute pas aux yeux ! Pour autant, ces jachères de bord de route n’ont-elles aucun intérêt pour l'abeille ? « L’UNAF demande une véritable réorientation de l’agriculture afin qu’à une vaste échelle, des cultures mellifères également pertinentes pour le monde agricole (sainfoin, trèfle, luzerne) soient semées. Alors que la France préfère importer des quantités colossales de tourteaux d’Amérique du Sud pour alimenter le bétail. » Et accepte de réduire considérablement ses cultures de luzerne au profit de l’importation de tourteaux de soja américain.
À l’appui de ce souci de cohérence tout à fait salutaire, on espère entendre désormais plus souvent l’UNAF défendre les jachères fleuries en milieu agricole et s’opposer plus fermement aux politiques d’intensivité agricole défendues par les syndicats agricoles majoritaires avec lesquels ils ont longtemps été liés[4]...
[1] Alaux C. et al (2010) Diet effects on honeybee immunocompetence, Biology Letters.
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[2] Tasei, J. N. & Aupinel, P. (2008) Nutritive value of 15 single pollens and pollen mixes tested on larvae produced by bumblebee workers (Bombus terrestris, Hymenoptera: Apidae). Apidologie 39, 397–409.
[3] Le ministre Bruno Le Maire vient de proroger, très discrètement, d’une année supplémentaire ce pesticide protégeant les semences de maïs après deux ans d’observation. Malgré la forte hostilité des mouvements apicoles, ce suivi n’a pas montré d’effet nocif évident sur les colonies d’abeilles. Mais l’évidence, on le sait à présent en matière d’impact des pesticides, est une notion à manier avec circonspection... Disons qu’au regard des études de l’Afssa et des observations de terrain, le Cruiser ne semble pas entraîner de mortalité massive et brutale des colonies. D’où l’avancée hésitante du Ministre.
[4] Cette critique nouvelle de l’UNAF serait-elle liée au fait que la FNSEA vient très récemment de faire du petit SPMF (le Syndicat des producteurs de miel de France), concurrent de l’UNAF, sa branche apicole officielle ?