Cette fois, ça y est : on a trouvé les killers des abeilles d’élevage ! Deux infâmes microbes dont l’un, un virus, est passé totalement inaperçu jusqu’ici en Amérique et en Europe. C'est du moins l'affirmation fracassante, faite par dix-huit chercheurs des universités du Montana, du Texas, de Mexico et du Centre biologique et chimique de l'US Army Edgewood dans le Maryland. Une révélation qui a fait l’effet d’une bombe dans le monde apicole et parmi les experts de ce fragile hyménoptère. Publiés le 6 octobre dans la revue PloS ONE[1], cette étude alimente depuis l’espoir des grands médias américain, mais un réel scepticisme parmi la communauté des spécialistes américains.
C’est Robert Cramer Jr., maître de conférence et spécialiste des champignons pathogènes au Département vétérinaire de biologie moléculaire à l’Université d’État du Montana, interviewé avant-hier, qui m’a décrit par le menu la méthode suivie pour cette étude : « Nous avons d’abord collecté des échantillons provenant de colonies de nombreuses régions, plusieurs années depuis 2006 et en différente santé : certaines étaient en excellentes formes, d’autres présentaient les symptômes d’effondrement de la colonie (CCD). »
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L’arme ultra-puissante des laboratoires militaires US
L’équipe est alors entrée dans le vif du sujet. « On a d’abord extrait les protéines de ces échantillons d’abeilles, puis nous avons identifié leurs séquences grâce à la technique de spectrométrie de masse basée sur les protéines (MSP) [développée par le Centre biologique et chimique de l'US Army Edgewood]. Une fois identifiées, ces protéines nous ont révélé quels microbes étaient dans et sur l’abeille. Puis sur la base d’analyse statistiques poussées, nous avons pu déterminer quels organismes étaient corrélés avec le syndrome du CCD. »
Leurs analyses biomoléculaires ont permis de déceler pas moins de 900 espèces de microbes présents dans l’ensemble des lots d’abeilles testées ! Dont seulement 29 étaient susceptibles d’être pathogènes pour l’abeille. Mais seule l’association du micro-champignon Nosema ceranae et le IIV-6, une souche du virus irisé des invertébrés (Invertebrate iridescent virus ou IIV), de la famille des Iridoviridae « a été parfaitement corrélée avec les colonies frappées par le CCD. » a-t-il ajouté. En d’autres termes, selon ces chercheurs ces deux microbes seraient les principaux facteurs du déclin des abeilles, agissant en combinaison. Et cela, précisent-ils dans leur article, non seulement aux États-Unis, mais aussi en Europe et en Asie. Rien de moins !
Les chercheurs plaident d'ailleurs, dans leur article, pour développer les traitements (par antibiotiques) contre Nosema ceranae dans les ruchers d’Amérique, ce qui reste la meilleure option actuelle, selon eux, pour réduire les mortalités des colonies du fait de cette contamination croisée. Pour étayer leurs affirmations sur ce couple délétère, Robert Cramer m’a précisé qu’ils ont volontairement infecté, en milieu contrôlé, plusieurs lots d’abeilles saines avec cette souche du virus IIV-6 et le micro-champignon. Soit d'une façon séparée, soit en addition. Et « les deux pathogènes ont causé plus de maladies que pris séparément chez les abeilles vivantes. »
Origine asiatique pour ce « nouveau » virus
D’où vient ce virus quasiment inconnu des abeilles américaines ? On sait assez peu de chose à son sujet, si ce n’est que sa souche IIV-24 a été associée à de sévères pertes d’abeilles asiatiques (Apis cerana) dans le nord de l’Inde en 1976 et 1978. Et cela, déjà, en co-infection avec des micro-champignons du genre Nosema.
C’est peut-être bien par l’importation de lots d’abeilles contaminées d’Asie ou d’Australie que ce virus s’est implanté en Amérique. Car, comme le dit Bob Cramer du Montana, « nous sommes dans un monde global où l’isolation ne dure pas longtemps. » Sa transmission au sein de la ruche se ferait, d’après les observations indiennes, à travers les œufs des abeilles, leurs excréments et leurs sécrétions glandulaires dans le miel et il provoquerait l’affaiblissement, l’inactivité puis la mort en « grappes » des abeilles. On soupçonne ce même type de virus irisé des invertébrés d’avoir causé des pertes en 1998 dans le nord-est des États-Unis, de l’ordre de 25 à 40 % parmi les ruchers (ce virus a été identifié sur des acariens Varroa présent dans les ruches). Et en 2000, en Espagne, l’équipe de Mariano Higes l’a également repéré dans de nombreuses colonies effondrées qu’il a étudiées. Dans la foulée des études du Montana, le leader du Centre apicole régional des Communautés de la Castille et de la Manche semble également l’associer à l’action du micro-champignon Nosema ceranae qu’il a identifié dans son pays et dans plusieurs régions d’Europe depuis 2002.
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[1] Jerry J. Bromenshenk et al., "Iridovirus and Microsporidian Linked to Honey Bee Colony Decline", PLoS ONE 5(10): e13181. doi:10.1371/journal.pone.0013181, 6 octobre 2010 (pour lire et télécharger cette publication, en anglais, cliquez sur ce lien)