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25 janvier 2010 1 25 /01 /janvier /2010 20:43

    Que 2010 soit aussi lumineuse pour vous tous qu’un long fil de miel d’acacia ! Et qu’elle apporte enfin à nos chères abeilles la force et la quiétude qui leur manquent tant, parfois. Bon, on peut former les mêmes vœux sincères pour leurs gardiens dont plus d’un a baissé les bras face aux spectacles désolant de leurs ruches affaiblies ou moribondes d’un hiver sur l’autre.

 

Une renaissance

    Et franchement, la sérénité en 2010 pour le monde apicole reste un combat ! Tenez, considérez le lancement du fameux Institut technique et scientifique de l’abeille et de la pollinisation. L’ITSAP, pour les intimes. Annoncé depuis près d’un an, mais toujours retardé. Vendredi dernier, il tenait son premier conseil d’administration (CA) et élisait un bureau provisoire, alors que le 12 mars prochain une assemblée extraordinaire modifiera certains points de ses statuts et élira son bureau définitif.

Abeille couverte de pollen.jpeg                                                                                                                                                             © Picasa Album

 

   Jusqu’à la dernière minute, ce lancement aura alimenté la longue chronique de la guerre apichrocoline. Et lorsque je parle de naissance, je devrais parler en réalité de  renaissance. Car, formellement, la bête n’était pas morte ! L’ancien Institut technique d’apiculture (ITAPI), créé en 1973, avait juste été plongé en 1993 dans un coma profond dont il n’est finalement jamais sorti. Et cela à la suite du torpillage du groupement interprofessionnel Intermiel qui pourvoyait à son financement, du fait de rivalités intersyndicales et d’un désintérêt certain des pouvoirs publics. Bref ! depuis plusieurs années de nombreuses voix réclamaient, dans le monde apicole, son rétablissement. Le député de la Haute-Savoie, Martial Saddier, en a même fait sa mesure phare dans le rapport sur l’apiculture remis au Premier ministre en octobre 2008. Ce que le ministère de l’Agriculture avait fini par accepter de relancer.

Un Institut  pour faire quoi ?

Chargé d'élaborer et d'analyser les programmes de recherche de la filière, cet Institut devra apporter une assistance technique à la profession. Il le fera en coordonnant des recherches appliquées, des essais et des tests de terrain, en liaison possible avec des organisations scientifiques comme l’INRA, les facultés ou le CNRS – par exemple sur les pesticides, sur de nouvelles armes contre les virus ou le varroa. On parviendra alors, peut-être, à s’accorder sur l’impact effectif, car attesté dans plusieurs ruchers répartis sur le territoire national selon un protocole unique et validé, de certains pesticides et de divers virus et parasites de l’hyménoptère. Soyons fou : rêvons ! Cet Institut est également très attendu pour améliorer la diversité et la qualité génétique des élevages, de même que la transparence et le dynamisme du commerce des miels et des produits de la ruche.

Si, « pour l’instant la hiérarchie des actions à mener n’a pas encore été débattue par le Conseil d’administration de l’ITSAP, notre priorité au CNDA [la colonne vertébrale effective de l’Institut] est d’améliorer nos données sur les pertes de colonies en France », me précisait lundi Sophie Cluzeau-Moulay de l’ancien Centre national du développement apicole. Un Centre qui a précisément modifié ses statuts pour constituer l’embryon de l’ITSAP. Au grand dam des syndicats apicoles qui ont dénoncé ce « coup de force » et auraient nettement préféré que l’Institut n’émane d’aucune organisation antérieure.


Un Institut indépendant ?

Au-delà des vieilles méfiances et des haines recuites au sein de cette profession parcourue de nombreuses sensibilités, trois points ont cristallisé les critiques syndicales : « la mainmise de l’agrochimie » dans la création de l’Institut, l’équilibre des pouvoirs entre le Conseil d’administration et le Conseil scientifique, et la place des syndicats apicoles ainsi que des organisations liées au monde agricole et aux industries phytosanitaires. Et jusqu’à la dernière minute, ces trois points ont fait l’objet d’âpres négociations, avec tout le cortège habituel de clashs, de dénonciations et autres communiqués de presse vengeurs. L’UNAF ayant même appelé à manifester vendredi devant le siège du CNDA, où se déroulaient les négociations sur l’ITSAP.

Dans le collimateur syndical, la volonté - supposée ou réelle - du ministère de l’Agriculture d’intégrer aux instances dirigeantes de l’Institut des représentants des firmes phytopharmaceutiques, notamment l'Union des Industries de la Protection des plantes (UIPP). À l’arrivée, aucun représentant de l’industrie ne siégera au Conseil d’administration ni ne pourra même adhérer à l’Institut. Quand à Coop de France, les coopératives agricoles françaises, dont l’adhésion avait également été mise en cause, elle pourrait, le 12 mars, n’être admise qu’avec une voix consultative.

De même, l’absence de chercheurs convaincus depuis toujours du rôle néfaste des pesticides a été dénoncée par la plupart des syndicats. Trois d’entre eux (Jacques Bonmatin, Luc Belzunces et Marc-Édouard Colin) seront donc ajoutés au Conseil scientifique de cette organisation technique[1]. Conseil dont le rôle demeurera bien « consultatif » au lieu de pouvoir « valider » (donc bloquer) les orientations définies par le Conseil d’administration, comme les formulations initiales le prévoyaient. Le CA demeure donc bel et bien le vrai centre de décisions où siégeront autour des huit Associations régionales du développement apicoles (CNDA), l’ensemble des organisations sanitaires travaillant sur l’abeille, quasiment tous les syndicats apicoles - à l'exception notable du SNA, lire notre encadré ci-dessous - et des représentants d’organisation de matériels apicoles.

Abeilles sur tournesol.jpg                                                                                                                        © Kramkom - Fotolia.com

Aura-t-il les moyens de ses ambitions ?

« Grâce à notre stratégie de lutte, nous avons préservé l’indépendance de cet Institut et nous en sommes satisfaits, m’assurait vendredi soir le président de l’UNAF Henri Clément. Le seul point noir qui demeure est les moyens financiers exsangues prévus par le ministère, à savoir 373 000 €  (dont quelque 145 000 € en frais de fonctionnement), ce qui est nettement insuffisant au regard des défis qui nous attendent. » En fait, pour des raisons de calendrier comptable calqué sur les fonds européens (règlement apicole européen), cette somme ne serait semble-t-il que provisoire, attribuée jusqu’au 31 août prochain. C’est à partir de cette date qu’un vrai budget annuel serait distribué[2]. Son montant ? « Personne n’en sait rien, admet Sophie Cluzeau-Moulay. Il fera évidemment l’objet d’une négociation serrée. On peut espérer qu’il s’élève au moins à 600 000 euros pour que nous soyons capables de réaliser nos objectifs pour la filière, mais il convient de définir précisément nos actions pour l’évaluer plus sérieusement. »


Malgré des rebondissements toujours possibles et même dans la douleur, une étape clé vient donc d’être franchie dans la (re)structuration de la profession apicole. D’ores et déjà, depuis le 1er janvier 2010 une déclaration annuelle des ruchers a été rendue obligatoire, afin de mieux suivre l’état du cheptel. Et la formation professionnelle a été renforcée avec la création de modules de 120 heures d’enseignement sur l’apiculture, accessibles aux étudiants des brevets de techniciens supérieurs (BTSA). 27 établissements d’enseignement agricole, répartis sur l’ensemble du territoire national, proposent d’ailleurs depuis la rentrée scolaire 2009 ces modules aux étudiants en formation initiale scolaire ou par apprentissage et en formation continue.

Le menu qui est sorti vendredi dernier des cuisines de cette longue négociation, parfois peu ragoûtante, est plutôt consistant. Il donne en tout cas à espérer pour le futur des abeilles et de ses gardiens.  Sans céder à trop d’angélisme ou à l’illusion que les structures peuvent, seules, résoudre des problèmes aussi complexes que la mortalité des abeilles, qui dépassent largement d’ailleurs les moyens de la profession apicole, on peut penser que sa création va dans le bon sens.

Aussi, s’il ne devait y avoir qu’un seul voeu à formuler pour accompagner la (re)naissance de l’Institut de l’abeille, ce serait que la profession ne cède pas une fois de plus à ses vieux démons : ceux de la division et des intérêts de boutiques. Car c’est seulement uni et combatif que ce cercle des abeilles pourra peser sur les puissants lobbies agricole et agrochimique. S’inspirer du travail collaboratif au sein des ruches : voilà la clé de l’avenir prospère des abeilles et de la biodiversité dans nos territoires !

Apiculteur en tenue de protection.jpg                                                      © Patrick Bonnor - Fotolia.com

Pourquoi le  Syndicat national d'apiculture (SNA) ne rejoindra pas l'ITSAP :
   " L'Institut pour nous reste à créer. Tout au moins pour ses statuts qui sont l'oeuvre d'une minorité qui entend gérer seule cet organisme où le monde agricole (FNSEA, APCA, JA.. ) arrive en force. Demain donc, impossible, selon la constitution de pouvoir nous exprimer sur les pesticides, insecticides et autres. La majorité n'est pas là. Ce qui est étonnant, c'est la position de certains, aujourd'hui favorables qui étaient opposés hier (UNAF, FNOSAD ...). Ce passage en force est une négation de la démocratie, le non respect du syndicalisme apicole et à terme, lentement et sûrement la mort des petits apiculteurs indésirables pour les ADA comme pour le syndicalisme agricole.
 Avec mes salutations."

Message que m'a envoyé Y. VEDRENNE, Secrétaire national du SNA, le 26 janvier 2010.
   Faute d’un processus jugé anti-démocratique et d’une représentation considérée comme étant suffisante, le SNA, premier syndicat de la profession, a donc décidé de ne pas siéger au CA ni d'ahérer à l'ITSAP. Je ne suis pas à même de juger la légitimité de leurs griefs. Je m'interroge seulement sur l'avenir de la filière. Cette politique de la chaise vide est-elle la meilleure, et pour qui ? Comment peser de l'extérieur sur des décisions clés pour le développement de la profession qui pourront être prises au sein de l'ITSAP ? On peut aussi se demander si le SNA campera longtemps sur cette position alors que tous ses concurrents et anciens alliés participent à l'Institut, au risque de s'isoler durablement.
V.T.



[1] Y siègeront également Bernard Vaissière (INRA, Avignon), Yves Le Conte (INRA, Avignon), Axel Decourtye (ACTA, Lyon), Olivier le Gall (INRA, Bordeaux), Gérard Arnold (CNRS, Gif/Yvette), Marie-Pierre Chauzat (AFSSA, Sophia Antipolis), Patrick Ravenel (Université de Grenoble), Éric Haubruge (Faculté universitaire de Gembloux, Belgique), Mariano Higes (Centro Apicola Regional, Marchamalo, Espagne) et Peter Neumann (Station de recherche Agroscope Liebefeld-Posieux, Suisse).

[2]En gros, le budget de l’ITSAP sera constitué pour moitié des aides européennes (le règlement apicole européen) et de FranceAgriMer (établissement national regroupant tous les anciens instituts techniques agricoles), pour 35 % du Cas Dar (le Compte d'affectation spécial pour le développement agricole et rural) sous forme d’une redistribution par le ministère de l’Agriculture des taxes sur le chiffre d’affaire des entreprises agricoles, pour 10 % des organisations adhérentes à l’ITSAP, et pour 5% des recettes propres à l’Institut.

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3 septembre 2009 4 03 /09 /septembre /2009 08:01
Au cours de l'année 2008, pour préparer l'écriture de mon livre, j'ai suivi régulièrement le parcours de l'apiculteur Denis Cournol. Installé sur l'une des superbes montagnes surplombant le village d'Olargues, dans les Haut-Cantons de l'Hérault, il m'a ouvert son rucher avec une grande gentillesse et simplicité. Je tiens, ici, à l'en remercier chaleureusement. Personnalité forte et attachante, développant une apiculture singulière, Denis connaît un parcours qui n'est pas celui de la plupart des autres éleveurs rencontrés. Il n'empêche, il témoigne à sa manière des difficultés rencontrées par ses pairs depuis plusieurs années. Et ces quatre saisons permettront à chacun d'entrevoir les activités de ces "exploitants" tout au long de l'année. J'y ai ajouté mes propres photos  pour partager avec vous cette belle rencontre, dans un pays que j'aime profondément.

L’hiver


   Deux phares blêmes fendent la brume froide. Image fugace d’un sous-marin plongé dans les abysses de la nuit océane. À 6 heures du matin ce 21 janvier 2008, le thermomètre est bloqué à – 1°C dans la plaine de Saint-Jean de Minervois, à l’ouest de l’Hérault. La garrigue et les vignes se dérobent au regard. Denis Cournol connaît parfaitement la route, pour y avoir déjà apporté, en octobre, une vingtaine de ruches, puis déménagé trente autres en pleine nuit, la semaine dernière. Un peu en catastrophe : « Plusieurs colonies que j’avais chez moi, au-dessus d’Olargues, ont commencé sérieusement à décliner... Elles sont très peu développées, à peine sur deux ou trois cadres sur les dix possibles, alors que celles que j’ai rapportées en octobre de la montagne sont déjà sur huit cadres. »

 

 

   Arrêt de son utilitaire. Une lueur blafarde monte de l’horizon. Pataugas, salopette et pull en grosse laine, la quarantaine auréolée d’une crinière argentée, l’apiculteur mitonne une curieuse mixture dans un seau : deux grammes de silice dilués dans quinze litres d’eau qu’il mélange de longues minutes sans s’arrêter. Toujours dans le même sens. « Avec cette préparation, je vais asperger mes ruches et tout autour, pour les renforcer... » Secrets de l’apiculture en biodynamie, fondée sur l’homéopathie et le cycle des astres. Une variante de l’apiculture « bio ». Pourquoi pas ? Je reste perplexe. Il le sent. Il n’insiste pas.



   Bidon en bandoulière, relié à un tuyau et un pistolet d’arrosage, il « dynamise » donc ses colonies qui dorment d’un sommeil de plomb. Une lumière rosée caresse le couvercle métallique de ses ruches carrées. On devine autour d’elles de jeunes pins, quelques bouquets de cistes et de buis luisant, plusieurs chênes verts. « En pleine journée, vu que l’hiver est doux, elles sortent déjà pour butiner la bruyère blanche en fleur. » Enfin, normalement... Car, à frapper respectueusement sur leur toit comme pour s’inviter, il n’entend aucune réponse. Froncement de sourcils. Il ouvre une première ruche, puis une seconde, juste à côté ; une troisième, enfin, un peu plus loin... « Elles ont fichu le camp ! »




   Vides, ces ruches sont presque vides. Quelques mâles se battent en duel autour de leur reine, mais l’essentiel des butineuses ont disparu. Et les réserves de miel sont, en revanche, presque intactes – il récupérera 5 à 7 kilos de miel par ruche. Sur la cinquantaine de colonies qu’il a placée ici, huit ont déjà fondu. Et pas seulement celles qu’il a rapportées la semaine dernière de son petit paradis de Fiers-Loups, le rucher de son hameau de La Salle situé au-dessus d’Olargues. Plusieurs des « bonnes filles de la montagne » aussi, installées là depuis octobre, ont fait l’école buissonnière. En achevant son inspection, il comptabilise trois ou quatre autres colonies guère vaillantes. « Je ne peux pas rapporter, chaque fois, des cadavres..., marmonne-t-il. Enfin, même pas : y a plus rien dans les ruches ! » En l'écoutant, je repense au récit fait par l'apiculteur David Hackenberg, ce "lanceur d'alerte" sur les effondrements de colonies d'abeilles aux États-Unis, dont je raconte l'histoire dans mon livre.

 


   L’humeur de retour à Fiers-Loups est maussade. Depuis novembre, la mortalité de ses abeilles est sévère. « J’ai perdu peut-être la moitié de mon cheptel. Un peu moins ? Je ne sais pas encore, je n’ai pas fait les comptes..., soupire-t-il. Et ça fait la deuxième année ! Déjà, en janvier 2007, puis au printemps, après une belle miellée de romarin, le même nombre avait disparu... Sans raison apparente. En 2001, y a eu aussi beaucoup de dégâts à cause de la loque [1]. Il n’y a plus une année où il se passe rien. »

 

   Cette fois, il soupçonne les pesticides d’avoir pollué son troupeau. « Par les vents ascendants venus de la plaine viticole : j’ai dû me faire arroser sur ma montagne. » Quand je lui fais remarquer que son rucher de Fiers-Loups est tout de même bien planqué sous un col, à plus de 400 mètres d’altitude, fort éloigné de cette plaine où les traitements chimiques sont légions, il insiste : « Je ne vois pas d’autres explications car les loques, j’en n’ai pas eu cette année. Et l’acarien Varroa destructor, je le contrôle bien avec des traitements au thymol et à l’acide oxalique. Ça doit être un problème d’accumulation et de synergie entre les insecticides. Gaucho, Régent, Cruiser, et demain quels autres ? En dix ans, mon cheptel semble avoir une immunité en chute libre. Et cette année, je vais devoir racheter des reines et des abeilles...» Du moins, s’il en trouve. Car les demandes affluent partout dans l’Hexagone. Et les producteurs sont débordés.

 

QUATRE SAISONS AVEC UN APICULTEUR

(1) L’HIVER
(2) LE PRINTEMPS
(3) L’ÉTÉ
(4) L'AUTOMNE

 


[1] Il s’agit de la loque américaine, une maladie due à la bactérie (Paenibacillus larvae) qui détruit les larves d’abeilles. Appelée aussi pourriture du couvain ou loque puante, cette épizootie est l'une des plus dangereuses pour les abeilles, car les bactéries dévorent les larves d'abeilles de l'intérieur jusqu'à ne laisser qu'un résidu gluant. La seule possibilité actuelle de limiter la propagation de cette « maladie animale réputée contagieuse » (MARC, à déclaration et traitement obligatoires) est la destruction totale du couvain et des colonies infectés en brûlant soigneusement les cadres infestés. La maladie est d'autant plus difficile à éradiquer que les bactéries peuvent survivre sous forme de spores pendant des dizaines d'années. La loque européenne, causée par plusieurs bactéries dont Melissococus pluton, est, elle, jugée moins grave. (photo droits réservés).

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3 septembre 2009 4 03 /09 /septembre /2009 07:59

Le printemps


   « Cela faisait plusieurs jours que je me demandais ce qui ne tournait pas rond en sortant autour de chez moi. Maintenant, je le sais : c’est le silence ! Le silence des abeilles. Avant, la montagne entière bourdonnait au printemps, mais à présent ce n’est plus le cas : je ne vois et n’entend quasiment plus d’abeilles sauvages cette année ! » De quoi mettre le bourdon à Denis Cournol, l’apiculteur que je suis de près depuis quelques mois. À cette époque de l’année, début avril 2008, ce sont bien les seules bestioles, en tout cas, qui emplissent l’air de leur vol un peu lourd. Avant quelques semaines plus chaudes ?

 

                                                                                                                                                    © A. Carasso

   Son bilan de l’hiver est aussi maussade que ces premiers jours du printemps : il a perdu les ruches qu’il redoutait de perdre. Et puis ça s’est un peu stabilisé. « J’ai appelé à droite, à gauche, des amis éleveurs, qui me disent que l’hiver est également très médiocre pour eux ! » À présent, il doit remonter une bonne partie de son cheptel. Il a prévu alors d’acheter des reines et des abeilles à un producteurs qu’il connaît en Aveyron : « Je veux faire ça avant la miélée de châtaigner pour qu’elles aient les moyens de construire leur cire. J’irai passer probablement deux trois jours après le 15 mai, pour habituer les jeunes reines à leurs nouvelles ruches, avant de les ramener. »

   Avant cette virée dans l’Aveyron, il compte faire son propre élevage de reines : tuer les vieilles Mères de quelques ruches, sélectionner des jeunes du couvain et fonder de nouvelles colonies. La saison des greffes est annoncée !


   Le 5 mai, par téléphone : « Il y a des matins, je préférerais être plombier qu’apiculteur ! » lâche Denis à l’autre bout du fil. Son contact aveyronais pourvoyeur de reines a été retardé dans ses reproductions par une météorologie capricieuse. Une amie qui devait lui en vendre subit, de son côté, une infestation de loque américaine [1]. Et ses équipements neufs pour accueillir ses nouvelles pensionnaires n’ont toujours pas été livrés.

 

   Le 7 mai, une éclaircie dans le ciel de La Salle  : il « greffe » demain, je dois venir voir ça [2] ! Le 8 est une belle journée de printemps. Plusieurs lacets grimpent discrètement à travers une forêt de châtaigners, au-dessus du village pittoresque d’Olargues. Au bout d’un quart d’heure, la piste longe la crête, contourne la montagne et passe dans un autre vallon. En face, j’aperçois un hameau solitaire où il vit avec sa compagne.  Cinq à six vieilles maisons en pierres et lauzes grises construites au milieu des bouquets de sauges mauves, de cistes blanches, d’iris et de lilas. Aux beaux jours, une partie de son « village » ouvre ses portes aux randonneurs en quête de nature sauvage. C’est là qu'il abrite son rucher de Fiers-Loup. Je le rejoins jusqu’à ses ruches ensoleillées, derrière un grand potager biologique. Il enfile sa tenue d’apisconaute et bourre son enfumoir d’écorce et d’herbe fraîche. Une épaisse fumée blanche se dégage. « En simulant un incendie, l’enfumoir semble précipiter les abeilles sur leur réserve de miel. Elles me foutent la paix pendant que j’ouvre les ruches et récupère certaines larves. » Des jeunesses pondues il y a moins de 36 heures ! Moins qu’une paix durable, la trêve avec ses colonies est de courte durée. Leur assaut reprend au bout de quelques minutes, dards érigés, autour de ces deux intrus qui kidnappent leur avenir.


   Nous nous replions dans son laboratoire de campagne pour commencer cette « greffe » : l’intérieur, en fait, de sa fidèle Audi des années 80. Denis est tendu. Il a repéré de la loque américaine dans plusieurs des ruches où il a prélevé les larves... « C’est incroyable que j’en trouve à cette période, en pleine miellée de printemps, dans ces ruches populeuse et productrices ! J’espère que ces larves sont saines. Je n’ai plus le choix ! Il faut que je poursuive cette greffe. »

 

   Délicatement, au pinceau, il dépose une larve d’1 mm dans chaque cupule d’une barrette en plastique : ces minuscules virgules blanches baignent dans une larme de gelée royale. « Grâce à la gelée, elles seront mieux acceptées par les nourrices qui devront les élever pour en faire des reines » espère Denis. Il va les placer, en effet, au sein d’une ruche qui leur servira de couveuse, protégées par une grille de la reine mère qui pourrait venir occir ses nouvelles rivales. Si tout se passe au mieux, les nourrices les adopteront et les nourriront durant une douzaine de jours. Une fois les reines écloses, Denis devra agir vite pour éviter qu’elles s’entretuent : il prélèvera une trentaine de jeunes reines qu’il implantera au sein de petites colonies orphelines de leur Mère – ce que les professionnels appellent le starter - provenant de l’Aveyron. « Je les placerai au frais et dans l’obscurité pour qu’en toute quiétude, ces colonies acceptent leur nouvelle reine. »

 


   Pour conjurer ce mauvais œil loqueteux qui plane au-dessus de ses ruches, il leur apporte du sirop de nourrissement additionné d’un petit remontant à base d’huiles essentielles de romarin, de sariette et d’eucalyptus réputées anti-septique, ainsi que de coriandre et de giroflier pour stimuler leur ponte. Il referme les ruches et place quelque cônes d’orgone (une résine enfermant un cristal entouré de fils de cuivre et d’aluminium) pour les protéger des mauvaise ondes... Si ça fait pas de bien, ça peut pas faire de mal, non ?               

 

 

 

  © photos de V. Tardieu

 

QUATRE SAISONS AVEC UN APICULTEUR

(1) L’HIVER
(2) LE PRINTEMPS
(3) L’ÉTÉ
(4) L'AUTOMNE

 


[1] Lire la note de l’article précédent, sur l'Hiver.

[2] En réalité, il ne s’agit pas d’une “greffe” à proprement parlée, mais d’un transfert de larves (picking) de colonies sélectionnées pour certaines qualités, au sein d’une colonie orpheline, sans reine. 

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3 septembre 2009 4 03 /09 /septembre /2009 07:58

L’été

   Le 18 juillet. Au téléphone, Denis Cournol a une bonne voix : 27 de ses 28 greffes ont prises et son cheptel s’est bien retapé. Ses ruches, placées dans une châtaigneraie de la montagne Noire sont lourdes de promesse sucrée. L’espoir vient aussi de celles tapies sur des bruyères aux fleurs odorantes.

 


   Je retouve Denis à la fraîche, le 7 août avant 8 heure, devant la mairie d’Olargues, pour aller récolter le miel de châtaigners de vingt-cinq de ses colonies achetées au Pays-Basque. La pluie menace. Il faut faire vite. J’ai, chaque fois, le même plaisir à grimper dans sa vielle Audi breack un peu déglinguée et bordélique, car un parfum de miel me saisit à la gorge dès que je franchis la porte. Délectable sensation de croquer à pleines dents le pain de miel que fabriquent les ouvrières pour nourrir leurs larves. Un sentiment de plénitude, une sensation rassurante, malgré la vitesse parfois déraisonnable avec laquelle conduit Denis.

 


   Nous nous arrêtons au bord d’une châtaigneraie du lieu-dit de Soulages. Ses filles de lumière bourdonnent gentillement. Leurs reines ont même commencer à pondre, les couvains sont splendides, crémeux et réguliers ! se réjouit Denis qui ajoute, ici et là, de nouveaux cadres. Pour ne point gâter le miel, il laisse de côté son enfumoir traditionnel et utilise un souffleur alimenté par un groupe électrogène. Moteur. Le vent de miel se lève. « Je pense avoir bien 15 à 18 kilos de miel par hausse... » sourit Denis en plaçant ces lourdes hausses à l’arrière du Breack. Il me donne à goûter ce miel prélevé au bord d’un cadre : le parfum suave de l’or tiède des châtaignes glisse dans ma gorge... Ah, le bel été !

 

 


© photos de V. Tardieu

 

QUATRE SAISONS AVEC UN APICULTEUR

(1) L’HIVER
(2) LE PRINTEMPS
(3) L’ÉTÉ
(4) L'AUTOMNE

 

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3 septembre 2009 4 03 /09 /septembre /2009 07:57

L’automne

   Le 20 octobre 2008, par téléphone la voix est maîtrisée. « Qu’est-ce qu’il s’est passé depuis l’été ? Un évènement qui n’a rien d’anodin : mon bâtiment technique où j’abritais tous mes vieux cadres et mes ruches anciennes s’est envolé en fumée... C’était à la fin du mois d’août, il faisait encore chaud. J’étais en train de brûler deux ruches atteintes de la loque américaine, et j’ai eu soif. Le temps d’aller boire [au hameau attenant de La Salle], des braises ont dû sauter sur de vieux cadres trop proches. Et t’imagines la suite : avec la cire et tout ce bâtiment en bois, ça a flambé en moins de deux ! Y avait qu’à espérer que la nature ne s’embrase pas tout autour. »


   Lui qui voulait repartir à zéro sur de nouveaux matériels et de nouvelles colonies, qui venait d’acheter des ruches Warré – une petite ruches carrée - et allait acquérir des ruches Extensible de Maurice Chaudière, pour pratiquer enfin l’apiculture dont il rêve, « celle où tu ne travailles pas que pour l’abeille ni contre elle, mais avec elle », une apiculture plus sédentaire et moins perturbante pour la colonie, où il n’aurait ouvert quasiment ses ruches que deux fois dans l’année, une fois pour traiter contre le Varroa, une autre pour récolter son miel, et le reste du temps il aurait affirmé son activité d’apithérapie – soigner avec les produits de la ruche -, lui qui avait acheté pour cela des reines noires au Pays-Basque et remontait lentement son cheptel, voilà son rêve parti en miette. En cendres, plus exactement. 

Maurice Chaudière et sa ruche l'Extensible


  Car s’il a fait place nette, pour repartir de zéro, il faut pouvoir investir. Or, « Moi, j’avais assuré l’ensemble du hameau, et je pensais que mon bâtiment technique était couvert. Erreur : vu qu’il est en bois et non en pierres comme le reste du hameau, j’aurais dû prendre une assurance spécifique... Je l’ignorais. Mon assureur ne me l'a pas dit. Bref ! je me retrouve à poil ! Il n’y a pas de hasard. Le feu dit quelque chose. » dit-il posément. Sans doute. Mais quel message entend-il ? 


   « J’ai pas les moyens de réinvestir dans l’apiculture. Et puis, de toutes façons, je ne veux pas investir dans n’importe quel type d’activité apicole : l’apiculture commerciale, moderne, elle n’a pas d’avenir. J’en suis intimement convaincu. Tu sais, je reste biodynamiste. Et Steiner l’avait bien prévu, cette hécatombe des ruchers au tournant du XXe siècle, avec le démarrage des élevages artificiels [le picking]. Et bien nous y sommes. L’homme a trop tiré sur la corde. Les apiculteurs commerciaux ne respectent pas l’abeille, et la nature est en train de reprendre ses droits. » 

                                                                

   J’entend bien ce qu’il me dit. Et je ne suis pas loin de partager son sentiment.  Peut-on résoudre cette équation que l'on a transformé en casse-tête : développer une apiculture à la fois économiquement viable et écologiquement durable ? Notre environnement actuel est si riche en pathogènes et en contaminants chimiques,  les parcours professionnels sont devenus si complexes et si coûteux, les marchés du miel trop opaques et dérégulés, pour ne pas s'interroger sur l'avenir de cette filière d'élevage si particulière. L'hiver n'est pas loin.


                                                                                                                  Le hameau de La Salle

Postscriptum (août 2009) : Depuis cette dernière saison passée ensemble, Denis Cournol poursuit sa quête d'une autre apiculture. Avec plusieurs points d'interrogation, mais toujours avec une belle énergie. À partir de son superbe hameau de La Salle où il accueille déjà pas mal de promeneurs et amoureux de la nature, grâce à son beau potager et verger biologique, avec ses ruches et son expérience, il aimerait créer « un lieu ouvert au public autour de l'abeille noire et de ses ressources naturelles ».

Un site où les gens pourraient venir se ressourcer, découvrir l'apiculture et la flore locale, échanger sur la biodynamie, etc.  Bref ! un lieu encore à inventer. Ce qui est clair, c'est que Denis ne veut plus produire des abeilles pour seulement fabriquer et vendre du miel. Il aimerait plutôt « vivre à leurs côtés », dans le respect de leur rythme et de leur génétique, en les logeant dans des ruches arrondies - une histoire d'ondes de forme que je n'ai toujours pas bien comprise...-  et en la préservant. Un juste retour des choses, en somme, pour bons et loyaux services. Elles qui nous offrent déjà leur miel, tant de plantes et de fleurs, des fruits aussi, et divers produits  de la ruches capables de nous soigner. Denis a dans la tête un joli rêve : le rêve d'Apipolis !

 

 

© photos de V. Tardieu

QUATRE SAISONS AVEC UN APICULTEUR

(1) L’HIVER
(2) LE PRINTEMPS
(3) L’ÉTÉ
(4) L'AUTOMNE

 

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24 juillet 2009 5 24 /07 /juillet /2009 07:32
    Blouse blanche et chambre stérile. Armé d’une pipette, d'une paire de crochets et d’un bon microscope, Bernard Sauvager est en quelque sorte un adepte de l’apifiv : la fécondation in vitro des abeilles !  À Chantepie, près de Rennes, il fait partie de la quinzaine d’apiculteurs bretons engagés dans un programme de sélection toute « chirurgicale » des colonies, avec l’aide de la commission apiculture du GIE Lait-Viande Bretagne [1]. Il prélève le sperme de quelques abeilles mâles (ou faux-bourdons) puis l'insémine dans « la chambre vaginale » de certaines reines. Cette technique, lourde et délicate, tend à sélectionner les individus reproducteurs qui l’intéressent pour certains caractères. De quoi créer la super abeille à cinq pattes, à la fois bosseuse et précoce, tolérante aux maladies, paisible, prolifique dans sa reproduction, et n’essaimant pas spontanément ? De quoi produire à l'arrivée autant de miel avec moins de colonies ? C’est bien sûr le Graal de tous les apiculteurs ! Rien de tel n’est en tout cas possible dans les ruches où d’ordinaire la reine est fécondée par plus de quinze mâles d'affilée, dont plusieurs proviennent de l’extérieur de la colonie. Comme je le raconte dans mon livre, maîtriser dans ces conditions la transmission de tel ou tel caractère d'intérêt identifié chez certaines abeilles devient alors un formidable casse-tête.

    Admirez cette opération exceptionnelle grâce au photographe Joël Le Gall qui vient de publier dans Ouest-France du 23 juillet les étapes de ce travail : http://www.ouest-france.fr/detail_galerie_-Des-reines-d’abeilles-inseminees-a-Rennes_2888-99001_GaleriePhoto.Htm  Magnifique !


[1] Audrey Helleu, “Un apiculteur insémine les abeilles”, Ouest-France, jeudi 23 juillet 2009.

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