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16 septembre 2009 3 16 /09 /septembre /2009 07:55
L’acarien Varroa destructor n’est pas le tueur unique
 

   On le savait depuis longtemps, l’acarien Varroa destructor est une vraie plaie pour les ruchers d’Amérique comme d’Europe. Introduit sur le Vieux continent puis les deux Amérique depuis l'Asie entre les années 1950 et 80, cet acarien de la taille d'une tête d'épingle, qui parasitent les larves des colonies, provoque plusieurs malformations visibles à l'œil nu, notamment des ailes, chez la jeune abeille. Se nourrissant de son sang (l'hémolymphe), il entraîne aussi une réduction de ses réserves de graisse et de la concentration en protéines de son sang, affaiblissant ainsi son système immunitaire et sa capacité à résister aux maladies, aux contaminants et aux stress. Pire, il peut aussi, comme nous l'avons déjà évoqué, lui transmettre une série de virus. Charmant mini vampire !


                                      Un varroa sur une larve d'abeille

 

Aux États-Unis, s'il a envahi un grand nombre d’exploitations apicoles, sa présence n’a toutefois été retrouvée que dans la moitié environ des colonies décimées par le CCD.  Il ne permet donc pas d’expliquer, à lui seul, l’hécatombe et les disparitions d’abeilles d’élevage qui frappent un tiers à un quart du cheptel américain chaque hiver depuis 2005 (lire notre encadré). À moins, ajoutent prudemment les auteurs de l’étude conduite sur des colonies de 2007, que des traitements par acaricide aient été effectués avant les prélèvements scientifiques dans ces ruches : dans ce cas, ils auraient pu masquer une forte invasion initiale de varroas et son impact sanitaire radical...

 

   Cette présence relativement faible de l’acarien au moment où les apiculteurs ont découvert leurs ruches effondrées (CCD), de même que l'absence ou le peu de spores de Nosema ceranae à l'intérieur, devrait d’ailleurs compléter, selon ces même chercheurs, la caractérisation du CCD. Initialement, ce syndrome a été décrit en 2007 comme vidant brutalement les colonies de la plupart de leurs ouvrières, alors même que l'on retrouve encore la reine à l'intérieur, de même que le couvain et des provisions de miel presque intacts. Ce critère supplémentaire permettrait ainsi de distinguer les épisodes de CCD des mortalités plus communes dues aux varroas ou à d’autres pathogènes ordinaires.


                    Grâce à des ventouses, l'acarien s'accroche à l'abeille ! © Scott Bauer ARS/USDA

 

 

Demain 12 septembre, la suite : Des résidus de pesticides aussi nombreux que variés

 

LA SÉRIE...

(1) UNE PREMIÈRE ÉVALUATION TROP ... RICHE ?
(2) UNE MEILLEURE DESCRIPTION DES ÉPISODES D'EFFONDREMENT (CCD)
(3) LA CULPABILITÉ DES VIRUS RELANCÉE ?ENTRETIEN EXCLUSIF AVEC MAY BERENBAUM SUR SA NOUVELLE DÉCOUVERTE CONCERNANT LES VIRUS...
(4) LE RÔLE DU MICRO CHAMPIGNON NOSEMA CERANAE DEMEURE INCERTAIN
(6) DES RÉSIDUS DE PESTICIDES AUSSI NOMBREUX QUE VARIÉS.
(7) COMBINAISONS EXPLOSIVES !
(8) DES  CARENCES NUTRITIONNELLES INQUIÉTANTES.
(9) UN MARQUEUR DU CCD BIEN ÉTONNANT !

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16 septembre 2009 3 16 /09 /septembre /2009 07:54
Des résidus de pesticides aussi nombreux que variés

   Un temps minimisée par le groupe de travail américain sur le CCD, la responsabilité des pesticides s’est précisée au fil des études. Et plusieurs scientifiques ont révisé leur opinion. C’est que l’importance et la diversité des toxiques chimiques retrouvés au sein des ruches américaines sont impressionnantes. « Sur les 108 échantillons de pollens analysés, 46 pesticides différents ont été identifiés. Nous avons même trouvé 17 molécules dans un seul échantillon de pollen provenant d'une colonie et 24 pesticides dans un seul échantillon d’abeilles ! indiquait en novembre 2008 Maryann Frazier de l’Université de Pennsylvanie qui a identifié des résidus de 73 molécules et 9 de leurs métabolites (produits de leur transformation) dans des pollens, de la cire, du miel et des abeilles de nombreux ruchers [1].

 

Types de pesticides identifiés dans 108 échantillons de pollen prélevés en 2007. (Frazier et al. 2008)

 

   Plus spectaculaires encore sont les résultats de Jerry Bromenshenk de l’Université du Montana et ses collègues travaillant pour la Défense : ils assurent, dans ce pré-rapport du groupe de travail sur le CCD, avoir identifié pas moins de... 400 molécules chimiques différentes au sein des ruches américaines ! Des pesticides agricoles comme les fameux systémiques (Poncho et Gaucho) ou divers fongicides, mais aussi, en fortes concentrations, des  insecticides utilisés par les apiculteurs contre le varroa et d’autres parasites de l’abeille. L’équipe de May Berenbaum de l’Université de l’Illinois précise dans ce même rapport d'étape que l’accumulation de deux acaricides (le tau-fluvalinate et le coumaphos) dans les cires pourraient fort bien bloquer chez l’abeille l’action de détoxification d’enzymes contre divers autres insecticides. Serait-ce l'explication des résultats de l'équipe de May Berenbaum, qui  n'a pas observé d'activation particulière des gènes de détoxification d'abeilles malades du CCD ?

 

   L’analyse récente des résidus de pesticides, effectuée dans les ruches de 2007  par le groupe de chercheurs américains et belges [2], confirme cet environnement relativement toxique dans lequel vivent nos abeilles : 50 molécules différentes et leurs métabolites ont été ainsi identifiés par eux dans 70 échantillons de cire, 20 molécules dans 18 échantillons de pain d’abeille (pollen frais agglomérés avec du nectar, du miel et des enzymes par les abeilles pour nourrir la colonie), 5 molécules dans 24 échantillons de couvain, et 28 molécules dans 16 abeilles adultes testées. Les auteurs précisent toutefois qu’« il n’y avait pas de différences sur le nombre moyen de pesticides détectés dans les cires [pas plus que dans le pain d’abeille, le couvain ou les abeilles adultes] issues des colonies des ruchers touchées par le CCD et des colonies des ruchers de contrôle. »

 

   Seule différence notable : l’insecticide agricole de la famille des pyréthrinoïdes (l’Esfenvalerate ou Asana XL) a été retrouvé dans 32 % des colonies de contrôle (saines) contre... 5 % seulement chez celles qui ont été frappées par le CCD. Même différence pour l’acaricide coumaphos aux dépens des colonies saines. Curieux, alors qu’on attendait l’inverse ! Est-ce à dire, comme le suggèrent les auteurs de cette étude, que ce résultat est le signe, sinon la preuve, que les pesticides ne sont pas la cause du CCD ? Du fait d’un impact plus subtil sur l’immunité des abeilles qui absorbent parfois ces contaminants à faibles doses dans le nectar et le pollen jour après jour, comme nous le montrons dans notre livre, il est tout de même plausible que ces résidus ont une action négative sur ces insectes. Mais laquelle et de quelles manières ? Sans doute n’impactent-ils pas seuls les colonies et combinent-ils leurs effets avec certains parasites. Nous détaillons dans L’étrange silence des abeilles plusieurs mécanismes très surprenants et parfaitement imprévisibles mis en évidence par plusieurs équipes, dont celle de Luc Belzunce à l’INRA d’Avignon (effets de synergie et de potentialisation entre molécules, effet des faibles doses, mécanisme d’action de type hormonaux...).

 

On teste en laboratoire (dans des tunnels avec des obstacles ou des repères visuels) l'orientation des abeilles exposées à des contaminants (© J. Tautz, tirée du livre "L'étonnante abeille", de boeck éditeur).

 

   Le 29 juillet dernier, Steve Sheppard du Centre de recherche agricole de l’Université d’État de Washington (WSU) rapportait également avoir trouvé d’« assez hauts niveaux de résidus de pesticide » (en particulier d’acaricides) dans les cires des cadres de ruches examinées [3]. Et « les abeilles élevées dans ces ruches [contaminées] ont eu une durée de vie réduite » ajoutait-il, avant de recommander aux éleveurs américains de changer leurs cadres de ruches plus souvent, au moins tous les trois ans. Plusieurs équipes sont encore en train d’évaluer la toxicité de ces acaricides anti-varroa. Ces résultats rappellent, là encore, ceux qui ont été obtenus à plusieurs reprises dans les ruches françaises. Ils confirment qu’il y a bien lieu de revoir les pratiques phytosanitaires apicoles aux États-Unis comme en Europe. Et pour cela d’apporter aux éleveurs des alternatives chimiques à la fois moins toxiques et plus efficaces.

 

   Effet collatéral de cette « guerre contre les pesticides » menée par les mouvements apicoles de part et d'autre de l'Atlantique, on a le sentiment que de nombreuses équipes de recherche et groupements professionnels ont pris la mesure des dégâts causés dans les ruchers du monde par l’acarien Varroa destructor et de l'urgence à se mobiliser contre lui. Ainsi, un groupe du département d’État de l’agriculture (USDA) de Baton Rouge, en Louisiane, conduit par Tom Rinderer, est parti il y a une quinzaine d’années pour la Sibérie à la recherche de lignées d’abeilles locales tolérantes à cet acarien. Ayant identifié puis sélectionné une lignée résistante, il a diffusé des abeilles hybrides russo-américaines aux USA avec un relatif succès. Bien d’autres équipes universitaires tentent aujourd'hui d’isoler des gènes de tolérance à cet acarien (mais aussi à certains virus ou à Nosema ceranae)  et de les intégrer au génome des lignées d’abeilles mellifères performantes pour leur production de miel ou leur rusticité.


   Certains privilégient la lutte biologique, comme je le détaille dans mon livre. Aux États-Unis, en France, au Royaume-Uni ou en Nouvelle-, plusieurs équipes s'efforcent ainsi de sélectioner un parasite de l’acarien - la plupart du temps une souche du champignon Beauvaria bassiana. C'est cette piste que présentera, le 15 septembre prochain à Montpellier, la branche languedocienne du Centre national du développement apicole (ADAPRO-LR)Enfin, comme l'indique ce nouveau rapport,  un groupe texan de Weslaco (USDA) teste avec différents industriels des méthodes de rotation d’acaricides pour retarder les résistances du varroa au sein des ruchers. Par ailleurs, un autre laboratoire de l’USDA, celui de Peter Teal à Gainesville (Floride), s’efforce actuellement de trouver un procédé de lutte non chimique, cette fois par piégeage, contre un autre parasite de l’abeille : le petit coléoptère qui fait, aux États-Unis, de gros dégât dans les ruchers.


Demain 13 septembre, la suite :
Combinaisons explosives !

LA SÉRIE...

(1) UNE PREMIÈRE ÉVALUATION TROP ... RICHE ?
(2) UNE MEILLEURE DESCRIPTION DES ÉPISODES D'EFFONDREMENT (CCD)
(3) LA CULPABILITÉ DES VIRUS RELANCÉE ?ENTRETIEN EXCLUSIF AVEC MAY BERENBAUM SUR SA NOUVELLE DÉCOUVERTE CONCERNANT LES VIRUS...
(4) LE RÔLE DU MICRO CHAMPIGNON NOSEMA CERANAE DEMEURE INCERTAIN
(5) L’ACARIEN VARROA DESTRUCTOR N'EST PAS LE TUEUR UNIQUE.
(7) COMBINAISONS EXPLOSIVES !
(8) DES  CARENCES NUTRITIONNELLES INQUIÉTANTES.
(9) UN MARQUEUR DU CCD BIEN ÉTONNANT !


[1] Melissa Beattie-Moss, “Colonies in collapse: What's causing massive honeybee die-offs?”, Research Penn State (magazine en ligne), 10 novembre 2008.

[2] vanEngelsdorp D et al. (2009) op. cit.

[3] “Scientists untangle multiple causes of bee colony disorder”, Environment News Service, ProMED (International Society  for Infectious Diseases), 29 juillet 2009.

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16 septembre 2009 3 16 /09 /septembre /2009 07:53
Combinaisons explosives !

   Les très nombreux résidus de pesticides découverts à l'ombre des ruches ne permettent pas d'expliquer partout et à eux seuls les effondrements de colonies observés à l’échelle des États-Unis. Pas plus en France d’ailleurs ou dans le reste de l’Europe. Responsables mais pas seuls coupables ? De même que Varroa destructor, Nosema ceranae ou les nombreux virus de l’abeille, retrouvés en quantité très variable aussi bien dans les ruches malades (CCD) que saines (témoins) ? 

                                                                                                                     © Arehn / Picasa Album

   « Comme toutes études descriptives, nous ne pouvons tirer aucune conclusion définitive concernant les facteurs qui contribuent ou pas, ou causent le CCD, concluent en août les auteurs de l’étude des colonies de 2007 [1]. Toutefois nos résultats nous permettent de dresser plusieurs constats (...) Alors que nous n’avons pas retrouvé un agent pathogène unique dans toutes les colonies frappées par le CCD, et bien que les abeilles issues de colonies à CCD étaient infectées par plus de pathogènes que leurs comparses provenant de colonies saines (témoin), nous suspectons que ces infections pouvant causer les symptômes d’effondrement sont ici secondaires et [que le CCD] résultent d’autres facteurs ou d’une combinaison de facteurs qui réduit la capacité des abeilles à contrôler ces agents pathogènes. » En clair, il n'y a pas un seul tueur d'abeilles, mais une bande de scélérats qui agissent de concert ! À l’appui de leur hypothèse qui s'impose aujourd'hui dans la plupart des laboratoires occidentaux, ces chercheurs notent que les colonies des ruchers frappés par le CCD en 2007 présentaient 2,6 fois plus de co-infections (par quatre virus ou plus, et les microsporidies Nosema ceranae) que celles des ruchers témoin.


L'acarien Varroa destructor © M.E.B de G.Chauvin


                                   Le micro champignon Nosema (ici,N. apis)

   C’est à présent évident : ce sont des synergies, parfois subtiles, entre plusieurs facteurs délétères pour la santé des pollinisateurs qui explique ce dépérissement. Et le déclin des abeilles d’élevage semble bel et bien découler des combinaisons entre certains pesticides, les parasites Varroa destructor et Nosema ceranae, voire certaines conduites apicoles comme les migrations intensives aux USA. À moins qu'il s'agisse de l'action conjuguée du varroa et des virus de l'abeille, comme nous l'assure l'équipe de May Berenbaum dans son entretien.

 

   Sur les pratiques dites intensives d'une certaine apiculture, disons deux mots. Jeff Pettis de l’USDA du Maryland et son collègue de Pennsylvanie, Dave vanEngelsdorp, confirment dans ce nouveau rapport d'étape les données que nous publions dans L’étrange silence des abeilles sur le stress des abeilles lors des transports de colonies pour remplir des contrats de pollinisation. À savoir que le couvain (rayons où se développent les larves d’abeilles) des colonies empilées sur des semi-remorques et voyageant entre la Californie et la Floride présente une élévation de leur température de 2 à 3 °C. Et leur mortalité est dix fois supérieure (jusqu’à 30 % de pertes) à celle des colonies restées en Californie.

 

   Précisons enfin que les combinaisons entre facteurs délétères pour l’abeille évoluent selon les ruchers, les années et les saisons. Ils se conjuguent également avec des processus d’amplification ou de contrôle des maladies et des intoxication, encore mal étudiés et compris,  mais spécifiques aux colonies d’insectes sociaux.  Inutile dans ces conditions de vouloir attribuer à un seul scénario des pertes de nature fort diverses. Je vous renvoie à notre ouvrage pour mieux comprendre l’ensemble de ces mécanismes très étonnants.


Demain 14 septembre, la suite : Des carences nutritionnelles inquiétantes

 

LA SÉRIE...

(1) UNE PREMIÈRE ÉVALUATION TROP ... RICHE ?
(2) UNE MEILLEURE DESCRIPTION DES ÉPISODES D'EFFONDREMENT (CCD)
(3) LA CULPABILITÉ DES VIRUS RELANCÉE ?ENTRETIEN EXCLUSIF AVEC MAY BERENBAUM SUR SA NOUVELLE DÉCOUVERTE CONCERNANT LES VIRUS...
(4) LE RÔLE DU MICRO CHAMPIGNON NOSEMA CERANAE DEMEURE INCERTAIN
(5) L’ACARIEN VARROA DESTRUCTOR N'EST PAS LE TUEUR UNIQUE.
(6) DES RÉSIDUS DE PESTICIDES AUSSI NOMBREUX QUE VARIÉS.
(8) DES  CARENCES NUTRITIONNELLES INQUIÉTANTES.
(9) UN MARQUEUR DU CCD BIEN ÉTONNANT !


[1] vanEngelsdorp D et al. (2009) op. cit.

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16 septembre 2009 3 16 /09 /septembre /2009 07:52
Des carences nutritionnelles inquiétantes

   La qualité, la richesse et la diversité de l’alimentation des abeilles jouent un rôle primordial pour leur santé. On savait déjà, par exemple, que le pollen riche en protéines aide les colonies à lutter contre les pathogènes. May Berenbaum de l’Université de l’Illinois montre à présent, dans ce rapport préliminaire du groupe de travail sur le CCD, qu’il existe dans le pollen, le miel et la propolis [1], des enzymes comme des flavanols (quercetine) permettant d’améliorer la tolérance des abeilles à l’égard de certains acaricides. Or ces composés sont absents des compléments alimentaires apportés aux colonies par les apiculteurs commerciaux, notamment pour les préparer à polliniser les amandiers en Californie dès le mois de février.

 

(© V. Tardieu)

Afin d'améliorer les performances de leur cheptel apicole, pour remplir les contrats de pollinisation signés avec des cultivateurs ou simplement pour aider une colonie à passer l'hiver, les éleveurs d'abeilles apportent régulièrement des compléments alimentaires et notamment du pollen, sources de protéines. Ici, il s'agit d'une réserve de pollen prélevée au sein de ruches fortes. Mais souvent ces compléments alimentaires sont manufacturés et n'apportent pas les mêmes bénéfices nutritionnels à l'abeille, voire transmettent certains virus.


   De son côté, Rufus Isaacs de l’Université d’État du Michigan, a sélectionné 29 espèces de plantes pérennes de l’espace rural très attractives pour l’abeille. Ces végétaux sont donc à préserver si l'on veut améliorer la santé des colonies et maintenir des populations d’abeilles sauvages indispensables pour polliniser les cultures et la flore naturelle. En France, le Réseau biodiversité pour les abeilles [2], animé par l’apiculteur Philippe Lecompte en Champagne, vise également à « améliorer le bol alimentaire des pollinisateurs». Pour cela, son réseau soutenu par l’industriel BASF développe des jachères apicoles plantées d’espèces visitées par les hyménoptères, en premier lieu dans les zones de grandes cultures comme la Beauce ou la Champagne-Ardenne. Si Philippe Lecompte table sur un potentiel de plus de 2 millions d’hectares dans l’Hexagone (jachère agricole, bord de rivières et de routes, espaces verts des villes...), en 2007  les surfaces de jachères apicoles ne dépassaient par 1 000 hectares, répartis dans 41 départements. On reste donc bien loin du compte ! Or, dans le même temps, les surfaces cultivées avec certaines plantes visitées par les abeilles (luzerne et tournesol) sont en nette régression dans l’Hexagone... – lire notre encadré.

 

   D’une façon globale, plusieurs études conduites en France et aux États-Unis (notamment par Claire Kremen à l’Université de Berkeley en Californie) attestent que le maintien des haies, des bosquets et des friches agricoles demeure le meilleur moyen de préserver le cortège des pollinisateurs sauvages et d’élevage dans le paysage rural. Après avoir analysé 54 études scientifiques publiées entre 1945 et 2007,  un groupe de chercheurs américano-argentins vient toutefois d’indiquer [3] que « le seul type de perturbation montrant un effet négatif significatif, la perte d’habitat et  sa fragmentation, est significatif uniquement dans le cas où il resterait très peu d’habitats naturels au sein de l’écosystème considéré. En conséquence de quoi, il serait très prématuré de conclure que c’est la perte d’habitats [pour les abeilles] qui a causé le déclin global des pollinisateurs ».

 

   En d’autres termes, et comme nous le montrons dans L’étrange silence des abeilles, jusqu’à un certain niveau de perturbations, les changements écologiques dans le paysage rural n’engendrent pas d’effets négatifs perceptibles sur l’abondance et la diversité des espèces d’abeilles. Mieux, certaines fragmentations et ouvertures des milieux forestiers ont multiplié et diversifié les micro-habitats ainsi que les ressources des pollinisateurs.  Tout est, une fois de plus, une question de mesure : si la disparition des espaces fleuris (haies, friches, bords de champs et de rivières, bosquets...) est totale et les monocultures courent à perte d’horizon, les abeilles déclineront rapidement. Et en premier lieu, semble-t-il d’après les auteurs de cette étude américano-argentine, les abeilles sociales comme Apis mellifera ou les petites mélipones tropicales qui nichent dans les arbres.


Demain 15 septembre, la fin de notre série :
 Un marqueur du CCD bien étonnant !

LA SÉRIE...

(1) UNE PREMIÈRE ÉVALUATION TROP ... RICHE ?
(2) UNE MEILLEURE DESCRIPTION DES ÉPISODES D'EFFONDREMENT (CCD)
(3) LA CULPABILITÉ DES VIRUS RELANCÉE ?ENTRETIEN EXCLUSIF AVEC MAY BERENBAUM SUR SA NOUVELLE DÉCOUVERTE CONCERNANT LES VIRUS...
(4) LE RÔLE DU MICRO CHAMPIGNON NOSEMA CERANAE DEMEURE INCERTAIN
(5) L’ACARIEN VARROA DESTRUCTOR N'EST PAS LE TUEUR UNIQUE.
(6) DES RÉSIDUS DE PESTICIDES AUSSI NOMBREUX QUE VARIÉS.
(7) COMBINAISONS EXPLOSIVES !
(9) UN MARQUEUR DU CCD BIEN ÉTONNANT !


[1] La propolis est fabriquée par les ouvrières à partir d’une résine collectée par les butineuses sur les bourgeons de certains arbres. Elle sert de mortier pour la ruche et de désinfectant aux abeilles. Ses diverses propriétés pharmacologiques sont utiles à l’homme.

[2] http://www.jacheres-apicoles.fr/index/

[3] Winfree R. et al (2009), “A meta-analysis of bees’ responses to anthropogenic disturbance” Ecology, 90 (8),  pp. 2068–2076.

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15 septembre 2009 2 15 /09 /septembre /2009 08:00
 Un marqueur du CCD bien étonnant !

   Au terme de ce qui ressemble furieusement à un empilement d'abstracts - des résumés de publications scientifiques - , le groupe de travail sur le CCD n'a pas mis (pas encore ?) en perspective ses avancées réelles. Dommage ! Notons, tout de même, ce résultat inédit sur les indicateurs du fameux CCD.
 
 
   Un marqueur du CCD, plutôt insolite. Les sons émis par les abeilles changeraient, en effet, lors d'une intoxication ou d'une infection par un pathogène... En enregistrant ces différentes empreintes sonores de l’état des colonies, une équipe de techniciens du Montana (Bee Alert Technology) espère ainsi pouvoir dépister « à la fois la présence et la sévérité d’une infection ou d'une infestation rapidement et sans difficulté. » Robert Seccomb et Jerry Bromenshenk de ce groupe assurent même  pouvoir mettre au point un enregistreur-diagnostic portable destiné aux apiculteurs. À suivre donc.


LA SÉRIE...

(1) UNE PREMIÈRE ÉVALUATION TROP ... RICHE ?
(2) UNE MEILLEURE DESCRIPTION DES ÉPISODES D'EFFONDREMENT (CCD)
(3) LA CULPABILITÉ DES VIRUS RELANCÉE ?ENTRETIEN EXCLUSIF AVEC MAY BERENBAUM SUR SA NOUVELLE DÉCOUVERTE CONCERNANT LES VIRUS...
(4) LE RÔLE DU MICRO CHAMPIGNON NOSEMA CERANAE DEMEURE INCERTAIN
(5) L’ACARIEN VARROA DESTRUCTOR N'EST PAS LE TUEUR UNIQUE.
(6) DES RÉSIDUS DE PESTICIDES AUSSI NOMBREUX QUE VARIÉS.
(7) COMBINAISONS EXPLOSIVES !
(8) DES CARENCES NUTRITIONNELLES INQUIÉTANTES.
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5 septembre 2009 6 05 /09 /septembre /2009 08:00

   Ah! ces Américains, toujours une longueur d’avance... Non seulement, le déclin des abeilles conduirait à tuer la pizza spéciale pepperoni, en nous privant des tomates, du poivron et autres garnitures, mais il nous condamnera à une désastreuse fonte des glaces. Si, si ! Pas celles de l’Arctique, dont l’Américain moyen se moque comme d’une guigne, mais celles qui emplissent son boc en carton d’un demi-litre posé sur son plateau TV : la disparition de la classique Macadamia, de la fraise-vanille ou de la poire caramélisée avec noix de Pécan grillée est programmée.

                                                                                                                                © Jean-Luc Picasa album

 

   Cela vous laisse froid ? Vous avez tort. Les abeilles permettent « la production des ingrédients de presque 40 % de nos meilleures glaces[1] », assure Josh Gellert, le gestionnaire d’Häagen-Dazs aux États-Unis, qui a lancé en 2007 cette émouvante croisade en faveur des pollinisatrices auprès du grand public. Avec Site Web à l’appui, actions dans les écoles, incitation à cultiver des plantes mellifères et à donner pour la recherche apicole, comme nous le racontons dans L'étrange silence des abeilles. En l’honneur de « ces petits héros bourdonnants que nous voulons garder », la firme a même créé une super crème glacée vanille de Madagascar et miel de trèfles du Dakota. De quoi mobiliser le consommateur du Middle West. Car « quand l’abeille est en danger, nous sommes tous en danger ! », martèle ce chevalier glacier de l’Apocalypse. Et ça marche… Les (petits) dons privés affluent vers les labos de recherches.

   Dernier acte de leur campagne de business charitable, après leur dotation de deux équipes universitaires de recherche sur l’abeille (en Californie et en Pennsylvanie) à hauteur de 375 000 dollars en deux ans, la firme  vient de produire une série de clip musicaux pour le premier National Honey Bee Awareness Day [la Journée nationale de conscience pour l'abeille mellifère] qu’ils ont lancé le 22 août dernier. S’appuyant sur le talent et le sens de la dérision de cinq jeunes frères de Los Altos, en Californie, ils ont diffusé une série de clips sur la toile qui buzzz grave... Faut dire que Max Lanman, l’aîné du groupe, fait des études de cinéma. On lui doit ce clip "Do the Honey Bee" : Fais l’abeille, toi aussi, mon frère ! Allez, man, ondule ton corps et rejoins la danse électro des butineuses !


   Bon, pour mieux partager l’apicool attitude, un peu de pédagogie. Avec ce message simple : elles meurent ? Vous mourrez !


Y a la version électrorapeuse, avec jupette rayée et coiffe à antennes. So cute !


   Et cette variante de la Fièvre du samedi sombre au sein des ruches avec boule-soleil à facettes.


   Perso, j’aime particulièrement l’interprétation claquettes des vieilles abeilles avant disparition.



   Bon enfant et dégoulinant de bons sentiments. Ridicule, vous avez dit ? Allons, allons, esprit chagrin, c’est pour la bonne cause !



[1] La production du cacao, de la vanille, de la fraise, de la myrtille, du cassis, de la framboise, de la poire, de la cerise, de l’abricot, des prunes, de la pêche, du citron, de l’orange, du melon, du fruit de la passion, de l’amande, de la noix du Brésil et de macadamia, etc. dépend des insectes pollinisateurs et des abeilles en premier lieu.

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3 septembre 2009 4 03 /09 /septembre /2009 08:01
Au cours de l'année 2008, pour préparer l'écriture de mon livre, j'ai suivi régulièrement le parcours de l'apiculteur Denis Cournol. Installé sur l'une des superbes montagnes surplombant le village d'Olargues, dans les Haut-Cantons de l'Hérault, il m'a ouvert son rucher avec une grande gentillesse et simplicité. Je tiens, ici, à l'en remercier chaleureusement. Personnalité forte et attachante, développant une apiculture singulière, Denis connaît un parcours qui n'est pas celui de la plupart des autres éleveurs rencontrés. Il n'empêche, il témoigne à sa manière des difficultés rencontrées par ses pairs depuis plusieurs années. Et ces quatre saisons permettront à chacun d'entrevoir les activités de ces "exploitants" tout au long de l'année. J'y ai ajouté mes propres photos  pour partager avec vous cette belle rencontre, dans un pays que j'aime profondément.

L’hiver


   Deux phares blêmes fendent la brume froide. Image fugace d’un sous-marin plongé dans les abysses de la nuit océane. À 6 heures du matin ce 21 janvier 2008, le thermomètre est bloqué à – 1°C dans la plaine de Saint-Jean de Minervois, à l’ouest de l’Hérault. La garrigue et les vignes se dérobent au regard. Denis Cournol connaît parfaitement la route, pour y avoir déjà apporté, en octobre, une vingtaine de ruches, puis déménagé trente autres en pleine nuit, la semaine dernière. Un peu en catastrophe : « Plusieurs colonies que j’avais chez moi, au-dessus d’Olargues, ont commencé sérieusement à décliner... Elles sont très peu développées, à peine sur deux ou trois cadres sur les dix possibles, alors que celles que j’ai rapportées en octobre de la montagne sont déjà sur huit cadres. »

 

 

   Arrêt de son utilitaire. Une lueur blafarde monte de l’horizon. Pataugas, salopette et pull en grosse laine, la quarantaine auréolée d’une crinière argentée, l’apiculteur mitonne une curieuse mixture dans un seau : deux grammes de silice dilués dans quinze litres d’eau qu’il mélange de longues minutes sans s’arrêter. Toujours dans le même sens. « Avec cette préparation, je vais asperger mes ruches et tout autour, pour les renforcer... » Secrets de l’apiculture en biodynamie, fondée sur l’homéopathie et le cycle des astres. Une variante de l’apiculture « bio ». Pourquoi pas ? Je reste perplexe. Il le sent. Il n’insiste pas.



   Bidon en bandoulière, relié à un tuyau et un pistolet d’arrosage, il « dynamise » donc ses colonies qui dorment d’un sommeil de plomb. Une lumière rosée caresse le couvercle métallique de ses ruches carrées. On devine autour d’elles de jeunes pins, quelques bouquets de cistes et de buis luisant, plusieurs chênes verts. « En pleine journée, vu que l’hiver est doux, elles sortent déjà pour butiner la bruyère blanche en fleur. » Enfin, normalement... Car, à frapper respectueusement sur leur toit comme pour s’inviter, il n’entend aucune réponse. Froncement de sourcils. Il ouvre une première ruche, puis une seconde, juste à côté ; une troisième, enfin, un peu plus loin... « Elles ont fichu le camp ! »




   Vides, ces ruches sont presque vides. Quelques mâles se battent en duel autour de leur reine, mais l’essentiel des butineuses ont disparu. Et les réserves de miel sont, en revanche, presque intactes – il récupérera 5 à 7 kilos de miel par ruche. Sur la cinquantaine de colonies qu’il a placée ici, huit ont déjà fondu. Et pas seulement celles qu’il a rapportées la semaine dernière de son petit paradis de Fiers-Loups, le rucher de son hameau de La Salle situé au-dessus d’Olargues. Plusieurs des « bonnes filles de la montagne » aussi, installées là depuis octobre, ont fait l’école buissonnière. En achevant son inspection, il comptabilise trois ou quatre autres colonies guère vaillantes. « Je ne peux pas rapporter, chaque fois, des cadavres..., marmonne-t-il. Enfin, même pas : y a plus rien dans les ruches ! » En l'écoutant, je repense au récit fait par l'apiculteur David Hackenberg, ce "lanceur d'alerte" sur les effondrements de colonies d'abeilles aux États-Unis, dont je raconte l'histoire dans mon livre.

 


   L’humeur de retour à Fiers-Loups est maussade. Depuis novembre, la mortalité de ses abeilles est sévère. « J’ai perdu peut-être la moitié de mon cheptel. Un peu moins ? Je ne sais pas encore, je n’ai pas fait les comptes..., soupire-t-il. Et ça fait la deuxième année ! Déjà, en janvier 2007, puis au printemps, après une belle miellée de romarin, le même nombre avait disparu... Sans raison apparente. En 2001, y a eu aussi beaucoup de dégâts à cause de la loque [1]. Il n’y a plus une année où il se passe rien. »

 

   Cette fois, il soupçonne les pesticides d’avoir pollué son troupeau. « Par les vents ascendants venus de la plaine viticole : j’ai dû me faire arroser sur ma montagne. » Quand je lui fais remarquer que son rucher de Fiers-Loups est tout de même bien planqué sous un col, à plus de 400 mètres d’altitude, fort éloigné de cette plaine où les traitements chimiques sont légions, il insiste : « Je ne vois pas d’autres explications car les loques, j’en n’ai pas eu cette année. Et l’acarien Varroa destructor, je le contrôle bien avec des traitements au thymol et à l’acide oxalique. Ça doit être un problème d’accumulation et de synergie entre les insecticides. Gaucho, Régent, Cruiser, et demain quels autres ? En dix ans, mon cheptel semble avoir une immunité en chute libre. Et cette année, je vais devoir racheter des reines et des abeilles...» Du moins, s’il en trouve. Car les demandes affluent partout dans l’Hexagone. Et les producteurs sont débordés.

 

QUATRE SAISONS AVEC UN APICULTEUR

(1) L’HIVER
(2) LE PRINTEMPS
(3) L’ÉTÉ
(4) L'AUTOMNE

 


[1] Il s’agit de la loque américaine, une maladie due à la bactérie (Paenibacillus larvae) qui détruit les larves d’abeilles. Appelée aussi pourriture du couvain ou loque puante, cette épizootie est l'une des plus dangereuses pour les abeilles, car les bactéries dévorent les larves d'abeilles de l'intérieur jusqu'à ne laisser qu'un résidu gluant. La seule possibilité actuelle de limiter la propagation de cette « maladie animale réputée contagieuse » (MARC, à déclaration et traitement obligatoires) est la destruction totale du couvain et des colonies infectés en brûlant soigneusement les cadres infestés. La maladie est d'autant plus difficile à éradiquer que les bactéries peuvent survivre sous forme de spores pendant des dizaines d'années. La loque européenne, causée par plusieurs bactéries dont Melissococus pluton, est, elle, jugée moins grave. (photo droits réservés).

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3 septembre 2009 4 03 /09 /septembre /2009 07:59

Le printemps


   « Cela faisait plusieurs jours que je me demandais ce qui ne tournait pas rond en sortant autour de chez moi. Maintenant, je le sais : c’est le silence ! Le silence des abeilles. Avant, la montagne entière bourdonnait au printemps, mais à présent ce n’est plus le cas : je ne vois et n’entend quasiment plus d’abeilles sauvages cette année ! » De quoi mettre le bourdon à Denis Cournol, l’apiculteur que je suis de près depuis quelques mois. À cette époque de l’année, début avril 2008, ce sont bien les seules bestioles, en tout cas, qui emplissent l’air de leur vol un peu lourd. Avant quelques semaines plus chaudes ?

 

                                                                                                                                                    © A. Carasso

   Son bilan de l’hiver est aussi maussade que ces premiers jours du printemps : il a perdu les ruches qu’il redoutait de perdre. Et puis ça s’est un peu stabilisé. « J’ai appelé à droite, à gauche, des amis éleveurs, qui me disent que l’hiver est également très médiocre pour eux ! » À présent, il doit remonter une bonne partie de son cheptel. Il a prévu alors d’acheter des reines et des abeilles à un producteurs qu’il connaît en Aveyron : « Je veux faire ça avant la miélée de châtaigner pour qu’elles aient les moyens de construire leur cire. J’irai passer probablement deux trois jours après le 15 mai, pour habituer les jeunes reines à leurs nouvelles ruches, avant de les ramener. »

   Avant cette virée dans l’Aveyron, il compte faire son propre élevage de reines : tuer les vieilles Mères de quelques ruches, sélectionner des jeunes du couvain et fonder de nouvelles colonies. La saison des greffes est annoncée !


   Le 5 mai, par téléphone : « Il y a des matins, je préférerais être plombier qu’apiculteur ! » lâche Denis à l’autre bout du fil. Son contact aveyronais pourvoyeur de reines a été retardé dans ses reproductions par une météorologie capricieuse. Une amie qui devait lui en vendre subit, de son côté, une infestation de loque américaine [1]. Et ses équipements neufs pour accueillir ses nouvelles pensionnaires n’ont toujours pas été livrés.

 

   Le 7 mai, une éclaircie dans le ciel de La Salle  : il « greffe » demain, je dois venir voir ça [2] ! Le 8 est une belle journée de printemps. Plusieurs lacets grimpent discrètement à travers une forêt de châtaigners, au-dessus du village pittoresque d’Olargues. Au bout d’un quart d’heure, la piste longe la crête, contourne la montagne et passe dans un autre vallon. En face, j’aperçois un hameau solitaire où il vit avec sa compagne.  Cinq à six vieilles maisons en pierres et lauzes grises construites au milieu des bouquets de sauges mauves, de cistes blanches, d’iris et de lilas. Aux beaux jours, une partie de son « village » ouvre ses portes aux randonneurs en quête de nature sauvage. C’est là qu'il abrite son rucher de Fiers-Loup. Je le rejoins jusqu’à ses ruches ensoleillées, derrière un grand potager biologique. Il enfile sa tenue d’apisconaute et bourre son enfumoir d’écorce et d’herbe fraîche. Une épaisse fumée blanche se dégage. « En simulant un incendie, l’enfumoir semble précipiter les abeilles sur leur réserve de miel. Elles me foutent la paix pendant que j’ouvre les ruches et récupère certaines larves. » Des jeunesses pondues il y a moins de 36 heures ! Moins qu’une paix durable, la trêve avec ses colonies est de courte durée. Leur assaut reprend au bout de quelques minutes, dards érigés, autour de ces deux intrus qui kidnappent leur avenir.


   Nous nous replions dans son laboratoire de campagne pour commencer cette « greffe » : l’intérieur, en fait, de sa fidèle Audi des années 80. Denis est tendu. Il a repéré de la loque américaine dans plusieurs des ruches où il a prélevé les larves... « C’est incroyable que j’en trouve à cette période, en pleine miellée de printemps, dans ces ruches populeuse et productrices ! J’espère que ces larves sont saines. Je n’ai plus le choix ! Il faut que je poursuive cette greffe. »

 

   Délicatement, au pinceau, il dépose une larve d’1 mm dans chaque cupule d’une barrette en plastique : ces minuscules virgules blanches baignent dans une larme de gelée royale. « Grâce à la gelée, elles seront mieux acceptées par les nourrices qui devront les élever pour en faire des reines » espère Denis. Il va les placer, en effet, au sein d’une ruche qui leur servira de couveuse, protégées par une grille de la reine mère qui pourrait venir occir ses nouvelles rivales. Si tout se passe au mieux, les nourrices les adopteront et les nourriront durant une douzaine de jours. Une fois les reines écloses, Denis devra agir vite pour éviter qu’elles s’entretuent : il prélèvera une trentaine de jeunes reines qu’il implantera au sein de petites colonies orphelines de leur Mère – ce que les professionnels appellent le starter - provenant de l’Aveyron. « Je les placerai au frais et dans l’obscurité pour qu’en toute quiétude, ces colonies acceptent leur nouvelle reine. »

 


   Pour conjurer ce mauvais œil loqueteux qui plane au-dessus de ses ruches, il leur apporte du sirop de nourrissement additionné d’un petit remontant à base d’huiles essentielles de romarin, de sariette et d’eucalyptus réputées anti-septique, ainsi que de coriandre et de giroflier pour stimuler leur ponte. Il referme les ruches et place quelque cônes d’orgone (une résine enfermant un cristal entouré de fils de cuivre et d’aluminium) pour les protéger des mauvaise ondes... Si ça fait pas de bien, ça peut pas faire de mal, non ?               

 

 

 

  © photos de V. Tardieu

 

QUATRE SAISONS AVEC UN APICULTEUR

(1) L’HIVER
(2) LE PRINTEMPS
(3) L’ÉTÉ
(4) L'AUTOMNE

 


[1] Lire la note de l’article précédent, sur l'Hiver.

[2] En réalité, il ne s’agit pas d’une “greffe” à proprement parlée, mais d’un transfert de larves (picking) de colonies sélectionnées pour certaines qualités, au sein d’une colonie orpheline, sans reine. 

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3 septembre 2009 4 03 /09 /septembre /2009 07:58

L’été

   Le 18 juillet. Au téléphone, Denis Cournol a une bonne voix : 27 de ses 28 greffes ont prises et son cheptel s’est bien retapé. Ses ruches, placées dans une châtaigneraie de la montagne Noire sont lourdes de promesse sucrée. L’espoir vient aussi de celles tapies sur des bruyères aux fleurs odorantes.

 


   Je retouve Denis à la fraîche, le 7 août avant 8 heure, devant la mairie d’Olargues, pour aller récolter le miel de châtaigners de vingt-cinq de ses colonies achetées au Pays-Basque. La pluie menace. Il faut faire vite. J’ai, chaque fois, le même plaisir à grimper dans sa vielle Audi breack un peu déglinguée et bordélique, car un parfum de miel me saisit à la gorge dès que je franchis la porte. Délectable sensation de croquer à pleines dents le pain de miel que fabriquent les ouvrières pour nourrir leurs larves. Un sentiment de plénitude, une sensation rassurante, malgré la vitesse parfois déraisonnable avec laquelle conduit Denis.

 


   Nous nous arrêtons au bord d’une châtaigneraie du lieu-dit de Soulages. Ses filles de lumière bourdonnent gentillement. Leurs reines ont même commencer à pondre, les couvains sont splendides, crémeux et réguliers ! se réjouit Denis qui ajoute, ici et là, de nouveaux cadres. Pour ne point gâter le miel, il laisse de côté son enfumoir traditionnel et utilise un souffleur alimenté par un groupe électrogène. Moteur. Le vent de miel se lève. « Je pense avoir bien 15 à 18 kilos de miel par hausse... » sourit Denis en plaçant ces lourdes hausses à l’arrière du Breack. Il me donne à goûter ce miel prélevé au bord d’un cadre : le parfum suave de l’or tiède des châtaignes glisse dans ma gorge... Ah, le bel été !

 

 


© photos de V. Tardieu

 

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(1) L’HIVER
(2) LE PRINTEMPS
(3) L’ÉTÉ
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3 septembre 2009 4 03 /09 /septembre /2009 07:57

L’automne

   Le 20 octobre 2008, par téléphone la voix est maîtrisée. « Qu’est-ce qu’il s’est passé depuis l’été ? Un évènement qui n’a rien d’anodin : mon bâtiment technique où j’abritais tous mes vieux cadres et mes ruches anciennes s’est envolé en fumée... C’était à la fin du mois d’août, il faisait encore chaud. J’étais en train de brûler deux ruches atteintes de la loque américaine, et j’ai eu soif. Le temps d’aller boire [au hameau attenant de La Salle], des braises ont dû sauter sur de vieux cadres trop proches. Et t’imagines la suite : avec la cire et tout ce bâtiment en bois, ça a flambé en moins de deux ! Y avait qu’à espérer que la nature ne s’embrase pas tout autour. »


   Lui qui voulait repartir à zéro sur de nouveaux matériels et de nouvelles colonies, qui venait d’acheter des ruches Warré – une petite ruches carrée - et allait acquérir des ruches Extensible de Maurice Chaudière, pour pratiquer enfin l’apiculture dont il rêve, « celle où tu ne travailles pas que pour l’abeille ni contre elle, mais avec elle », une apiculture plus sédentaire et moins perturbante pour la colonie, où il n’aurait ouvert quasiment ses ruches que deux fois dans l’année, une fois pour traiter contre le Varroa, une autre pour récolter son miel, et le reste du temps il aurait affirmé son activité d’apithérapie – soigner avec les produits de la ruche -, lui qui avait acheté pour cela des reines noires au Pays-Basque et remontait lentement son cheptel, voilà son rêve parti en miette. En cendres, plus exactement. 

Maurice Chaudière et sa ruche l'Extensible


  Car s’il a fait place nette, pour repartir de zéro, il faut pouvoir investir. Or, « Moi, j’avais assuré l’ensemble du hameau, et je pensais que mon bâtiment technique était couvert. Erreur : vu qu’il est en bois et non en pierres comme le reste du hameau, j’aurais dû prendre une assurance spécifique... Je l’ignorais. Mon assureur ne me l'a pas dit. Bref ! je me retrouve à poil ! Il n’y a pas de hasard. Le feu dit quelque chose. » dit-il posément. Sans doute. Mais quel message entend-il ? 


   « J’ai pas les moyens de réinvestir dans l’apiculture. Et puis, de toutes façons, je ne veux pas investir dans n’importe quel type d’activité apicole : l’apiculture commerciale, moderne, elle n’a pas d’avenir. J’en suis intimement convaincu. Tu sais, je reste biodynamiste. Et Steiner l’avait bien prévu, cette hécatombe des ruchers au tournant du XXe siècle, avec le démarrage des élevages artificiels [le picking]. Et bien nous y sommes. L’homme a trop tiré sur la corde. Les apiculteurs commerciaux ne respectent pas l’abeille, et la nature est en train de reprendre ses droits. » 

                                                                

   J’entend bien ce qu’il me dit. Et je ne suis pas loin de partager son sentiment.  Peut-on résoudre cette équation que l'on a transformé en casse-tête : développer une apiculture à la fois économiquement viable et écologiquement durable ? Notre environnement actuel est si riche en pathogènes et en contaminants chimiques,  les parcours professionnels sont devenus si complexes et si coûteux, les marchés du miel trop opaques et dérégulés, pour ne pas s'interroger sur l'avenir de cette filière d'élevage si particulière. L'hiver n'est pas loin.


                                                                                                                  Le hameau de La Salle

Postscriptum (août 2009) : Depuis cette dernière saison passée ensemble, Denis Cournol poursuit sa quête d'une autre apiculture. Avec plusieurs points d'interrogation, mais toujours avec une belle énergie. À partir de son superbe hameau de La Salle où il accueille déjà pas mal de promeneurs et amoureux de la nature, grâce à son beau potager et verger biologique, avec ses ruches et son expérience, il aimerait créer « un lieu ouvert au public autour de l'abeille noire et de ses ressources naturelles ».

Un site où les gens pourraient venir se ressourcer, découvrir l'apiculture et la flore locale, échanger sur la biodynamie, etc.  Bref ! un lieu encore à inventer. Ce qui est clair, c'est que Denis ne veut plus produire des abeilles pour seulement fabriquer et vendre du miel. Il aimerait plutôt « vivre à leurs côtés », dans le respect de leur rythme et de leur génétique, en les logeant dans des ruches arrondies - une histoire d'ondes de forme que je n'ai toujours pas bien comprise...-  et en la préservant. Un juste retour des choses, en somme, pour bons et loyaux services. Elles qui nous offrent déjà leur miel, tant de plantes et de fleurs, des fruits aussi, et divers produits  de la ruches capables de nous soigner. Denis a dans la tête un joli rêve : le rêve d'Apipolis !

 

 

© photos de V. Tardieu

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(2) LE PRINTEMPS
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